Lettre à Jack Lang
Monsieur le Président de l'Institut du Monde Arabe,
Je déteste hurler avec les loups. Je suis convaincu que le discours sur les "tous-pourris" est sans doute un des pires attentats qui soient contre la République et ceux qui la servent, à quelque niveau qu'ils le fassent.
Mais, là, franchement, vos déclarations sur votre rémunération sont doublement scandaleuses.
Scandaleuses d'abord sur leur montant lui-même. L'IMA est, dit-on, un merveilleux Musée qui contribue au rayonnement culturel de la France et je veux bien le croire.
Qu'une personnalité comme vous, après Dominique Baudis et d'autres, le préside est sûrement une bonne chose pour la notoriété de cet établissement.
Que vous perceviez, au titre de votre présidence, une indemnité ne me choque pas : je suis convaincu que vous y consacrez du temps et l'énergie créatrice dont les Français vous savent capables.
Mais percevoir 100 000 € par an, ce qui correspond à la rémunération d'un cadre de direction générale dans l'industrie ou d'un patron de PME, bref d'un emploi à responsabilité à plein temps, me pose question.
D'autant que s'ajoute très certainement à cette indemnité dont j'ignore le traitement fiscal (...) le paiement par l'IMA d'un certain nombre de frais de représentation de son Président : déplacements, hébergements, avantages divers même si vous en avez réduit, parait-il, le montant.
S'ajoute à ça le fait que l'IMA est dirigé par une Directrice générale (voir DG IMA) qui doit vraisemblablement exercer pleinement ses fonctions de direction, moyennant un salaire qui, en toute logique d'ailleurs, est sans doute équivalent voire supérieur à celui de son Président.
S'ajoute enfin le fait qu'à votre âge, vous bénéficiez déjà -sans que je le conteste- des rentes d'une vie professionnelle consacrée aux affaires publiques, lesquelles apportent, dit-on, des moyens raisonnables de survie à quelqu'un qui fut longtemps, comme vous, un grand serviteur de la République.
Voilà quelques-unes des raisons qui me font penser, comme à beaucoup d'autres, que ces 100 K€ par an constituent une rémunération très excessive et même scandaleuse dans les temps que nous traversons.
Mais il y a plus scandaleux encore : c'est ce mot de "normal" que vous attachez, questionné, à cette rémunération. J'en retire d'emblée toute référence à d'imprudentes promesses électorales récentes qui ont conféré à la normalité un sens nouveau.
Non : je pense seulement à la sincérité qui a du accompagner votre réponse : tout ça vous semble "normal". Preuve que vous ne vivez plus, et depuis longtemps, la vie "normale" des citoyens ordinaires qui travaillent.
Il vous semble à vous naturel qu'un personnage de votre rang, de votre rayonnement et ayant eu votre parcours soit ainsi rémunéré pour accepter de présider un établissement aussi prestigieux. Normal. Je suis sûr que vous pensez sincèrement cela.
Là est bien le problème : je trouve ça, moi, terriblement excessif et même profondément inacceptable au moment où, de partout, les autorités publiques cherchent à réduire leurs dépenses, après avoir assommé le monde du travail d'impôts en tous genres.
Votre exercice de transparence va accréditer l'idée, déjà fort répandue, que vieilles gloires ou jeunes espoirs qui s'engagent à Paris dans l'action publique ne le font que moyennant intérêts personnels sonnants et trébuchants généreusement distribués au sein de la Cour.
Quel désastre. Nous n'avions pas besoin de ça...
Mais transparence pour transparence, j'espère volontiers que demain et après-demain, vont s'ouvrir, "grâce à vous", les Ecuries d'Augias et que tomberont dans les rédactions les informations relatives à la rémunération des mille et un présidents d'établissements publics, Hautes Autorités ou Conseils en tous genres, d'utilités variables mais tous sur fonds publics, qui émaillent la vie parisienne.
Ca ne sera sans doute pas joli-joli mais, au fond, j'en viens à le souhaiter : sans ce grand déballage, de vraies-fausses rumeurs savamment orchestrées par des officines spécialisées continueraient de saturer nos messageries. Il me faut donc, au final, vous remercier de cet ultime service que vous aurez ainsi rendu, même involontairement, à la République.
Avant que de vous inviter, ce temps désormais venu je le crois, à jouir tranquillement d'une retraite méritée, dans un confort matériel qui doit pouvoir, j'en suis sûr, se passer de cette indemnité.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma considération.