Nous vivons dans un bien beau (et bien riche) pays !
Petite chronique ordinaire de ma vie d'agent d'assurance : un de mes clients s'est fait un petit plaisir en achetant à un Lot-et-Garonnais une vieille Jeep provenant des surplus de l'armée américaine en Europe.
Mon client me fait l'amitié de venir assurer ce véhicule chez moi et je lui demande, naturellement, de me donner copie de la carte grise de ce véhicule. Il me présente celle établie à la demande du vendeur, dûment barrée. J'en prends une copie et je l'invite à faire établir dans les meilleurs délais une nouvelle carte grise à son nom. Rien que de très normal.
Mon client se présente donc à la Préfecture de Lot-et-Garonne, nanti des différents documents requis. Là, on lui fait observer que sur la carte grise précédente (établie par la Préfecture de Lot-et-Garonne dans les années 90), figure la mention "INCONNUE" en face de la rubrique "date de 1ère mise en circulation".
Oui, et alors ? Alors ? Ce que l'informatique autorisait en 1997 n'est désormais plus permis. Il faut maintenant faire figurer une date précise de 1ère mise en circulation. Bon. Qu'à cela ne tienne : mon client a justement une photo du bloc moteur où est gravée une date de construction, le 29 juin 1965. Voilà qui devrait faire l'affaire ?
Que nenni ! Renseignement pris par mes soins auprès de la personne responsable du service à la Préfecture d'Agen (qui m'a d'ailleurs très gentiment renseigné et je l'en remercie ici), les instructions du Ministère sont formelles : désormais, dans ce genre de situation, les cartes grises ne pourront être délivrées que sur présentation :
- soit d'une attestation du constructeur (c'est mal barré pour une Jeep Willis de 1965...)
- soit d'une attestation de la "Fédération Française des Véhicules d'Epoque"
La "Fédération quoi" ? Oui, oui ! Il existe bien une fédération française que Monsieur Google, à ma demande, a immédiatement identifiée (ffve.org). J'y découvre que cette fédération a même été reconnue d'utilité publique (fichtre !) en 2009 et qu'elle délivre, moyennant 50 € et un dossier dûment rempli, une attestation certifiant la date de 1ère mise en circulation.
Les affaires marchent bien pour cette fédération d'ailleurs parce qu'on découvre, sur ce site, que compte-tenu du nombre de demandes qui affluent (plus de 1000 par mois...), tout dossier complet nécessitera un délai d'au moins 4 semaines avant que puisse être délivrée la précieuse attestation.
Laquelle permettra ensuite à mon client de se présenter à la Préfecture.
Laquelle pourra ainsi enregistrer la demande de carte grise conformément aux instructions du Ministère.
Lequel adressera le précieux document à mon client, document sans lequel mon client ne peut théoriquement pas circuler.
Elle est pas belle la vie ?!
Bon, franchement : il n'y a pas mort d'homme. Mon client s'est fait plaisir et s'il lui faut dépenser 50 € de plus et patienter quelques semaines encore avant de pouvoir circuler en règle, il survivra, bien sûr. D'autant qu'avec l'été pourri que nous vivons, le temps n'est pas venu de faire beau sur la plage en décapotable made in US !
Pas dramatique non plus mais plus drôle : ce véhicule a appartenu... à l'Etat français, comme l'indique la mention sur la carte grise du vendeur. Ca n'a pas gêné l'Etat, alors, d'ignorer la date précise de livraison du véhicule ?
Et le plus rigolo dans cette affaire, si l'on peut dire, c'est que la "date de première mise en circulation", tout le monde s'en fout ! Il n'y a aucun intérêt particulier à la connaître précisément : le véhicule a un numéro de moteur et une immatriculation. Ca suffit largement pour l'identifier.
OUI MAIS, le Ministère qui veille sur nous (et sûrement pour notre bien...) a décidé précisément des conditions dans lesquelles ce type de question tout-à-fait majeure devait être instruite. Alors, on obéit évidemment au Ministère.
Voilà pourquoi je vous le dis, mes chers amis : nous vivons dans un bien beau pays, et un pays bien riche pour pouvoir s'autoriser de dépenser autant de temps, d'énergie et d'argent à de telles calembredaines...