Les finances municipales au pied du mur

Publié le par Bernard LUSSET

J'ai participé il y a quelques jours à une rencontre informelle d'adjoints aux finances de différentes villes du Sud Ouest. J'ai ensuite lu le rapport parlementaire des sénateurs Dallier-Guéné-Mézard dont on pourra prendre connaissance ici. Enfin, le congrès des Maires de France a été l'occasion pour les élus de tous bords de mettre en évidence l'impasse budgétaire dans laquelle vont se trouver communes et intercommunalité.

Trois angles de vue, trois mêmes conclusions : les villes moyennes et leurs intercommunalités vont connaître une dégradation inconnue jusqu'alors de leurs finances publiques, laquelle appelle un changement radical de leurs pratiques budgétaires.

Le contexte : baisse des recettes

Entre les dotations d'Etat qui plongent partout, l'économie générale qui flageole et les volontés politiques de stabilité fiscale, les villes sont confrontées à un phénomène nouveau pour elles : la baisse de leurs recettes. C'est une véritable rupture pour des collectivités qui, peu ou prou, n'ont jamais connu qu'une hausse de leurs recettes (et donc de leurs dépenses) depuis des décennies.

Dans ce contexte nouveau, les communes vont perdre d'ici 2017 entre 30 et 50 % de leur dotation globale de fonctionnement versée chaque année par l'Etat (DGF : - 40 % environ à Agen, - 80% à l'Agglo). S'y ajoute la baisse généralisée des autres formes d'aides apportées par l'Etat et les autres collectivités en matière sociale, culturelle, etc... A Agen, il n'y a guère que les crédits politique de la ville qui progressent, hélas moins vite que ce que nous coûtent ces actions.

Chacun avait bien mesuré dès 2013 que les temps à venir allaient être difficiles : à l'époque, il était question d'un effort de 2,5 milliards demandé aux collectivités. Depuis le discours de politique générale de Manuel Valls en avril 2014, au lendemain des élections municipales, la facture est passée à 12,5 milliards... Le résultat se lit dans le diagramme ci-dessous : à l'horizon 2018, ce sont environ la moitié des villes de 10 à 50 000 habitants qui seront dans le rouge.

L'étude du Sénat montre que si les risques de difficultés financières existaient avant les mesures de l'Etat, l'effort demandé va faire plonger près de la moitié des villes de 10 à 50 000 habitants...

L'étude du Sénat montre que si les risques de difficultés financières existaient avant les mesures de l'Etat, l'effort demandé va faire plonger près de la moitié des villes de 10 à 50 000 habitants...

Les réponses : décisions difficiles

Comment les villes vont-elles faire face à cette situation ? Le rapport Dallier n'est pas optimiste : il va falloir à la fois tailler dans les dépenses de fonctionnement, faire des coupes sombres dans les investissements et augmenter la fiscalité. A ce prix-là, peut-être, les villes pourront éviter l'insolvabilité qui les guette à l'horizon 2018.

Sur les recettes :

Le recours au levier fiscal est dans toutes les têtes. Beaucoup de villes auront recours dès 2015 à une augmentation de leurs taux d'imposition, certaines envisageant même d'y recourir aussi en 2016. D'autres -parfois les mêmes- vont procéder à une augmentation significative des tarifs des services municipaux, pour tenter de rééquilibrer la part payée par l'usager du service avec la part prise en charge par le contribuable. Telle autre ville met en place (ou agrandit) le stationnement payant. Telle autre enfin vend ses bijoux de famille (immeubles, terrains) pour garder quelques temps encore des capacités de manoeuvre.

Sur les dépenses :

Telle ville bouleverse son organisation autour des cantines, telle autre mutualise ses services avec l'intercommunalité, telle autre taille drastiquement dans les subventions versées aux associations (jusqu'à - 50%), telle autre réduit en force ses dépenses de personnel. Toutes vont réduire significativement leurs programmes d'investissement. Beaucoup sont tentées par un transfert de compétences nouvelles au profit des intercommunalités mais les dites interco sont elles-même tellement impactées (- 80 % de DGF pour l'Agglo d'Agen...) qu'un tel mouvement ne peut être une solution.

Dégradation générale des ratios

Malgré ces décisions probables, il est frappant de constater que les ratios de gestion d'épargne brute et d'encours de dette se dégradent dans toutes les villes. Le rapport Dallier estime ainsi que la seule baisse des dotations d'Etat va diviser par 2 l'épargne brute des villes. Leur capacité de remboursement de leur dette, jusque là inférieure à 15 ans, devrait s'envoler jusqu'à 40 ans.

Concrètement, cela signifie que les villes vont cesser de devenir des collectivités d'investissement au profit de collectivités de services, eux-même sans cesse réduits et de plus en plus chers. Un peu partout, des projets d'infrastructures sont abandonnés, la Ville ne pouvant plus qu'assurer le seul maintien en état des équipements existants. Et encore, je n'évoque pas ici la situation des villes qui étaient déjà fragiles financièrement.

Chacun a bien conscience qu'en agissant ainsi, les Villes vont elles-même contribuer à réduire le volume d'activité économique de leur territoire et amplifier la crise, elles qui contribuent beaucoup aux investissements publics. Mais, sous contrainte, les obligations de bonne gestion vont l'emporter sur ces considérations.

Perspective inéluctable et inquiétante : l'effondrement de l'investissement des villes et des agglos (source : étude la Banque Postale pour l'AMF)

Perspective inéluctable et inquiétante : l'effondrement de l'investissement des villes et des agglos (source : étude la Banque Postale pour l'AMF)

L'Etat en question

Au moment même où l'Etat appelle les collectivités à réduire leurs dépenses dans un calendrier délirant, le même Etat leur impose toujours plus d'obligations : mise en accessibilité des locaux, procédures toujours plus complexes, retrait de l'Etat de certaines politiques publiques, etc...

Un exemple agenais parmi tant d'autres : l'Etat qui participait au financement du déficit de la ligne aérienne à hauteur d'1,2 millions d'euros va passer sa contribution à 150 000 € en 2015, puis 92 000 € en 2016 puis... zéro en 2017. Or, cette ligne est essentielle pour notre économie locale en attendant l'arrivée de la LGV. Son maintien passait donc par un effort accru du Conseil général et de l'Agglo, le département y prenant d'ailleurs la plus grosse part.  Mais ce sont quand même 400 000 € de plus pour la seule Agglo, soit l'équivalent de 10 à 15 emplois publics....

Certains attendaient de Manuel Valls qu'il fasse des annonces devant le Congrès des Maires de France la semaine dernière ? A part la poursuite de la maigre compension sur les rythmes scolaires, il n'y a, évidemment, pas eu d'annonces.

Les communes et leurs intercommunalités vont devoir affronter seules le tsunami budgétaire qui arrive...

Publié dans on en parle partout

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