Primaire, l'ultime étape
La participation : qui a dit que les Français se désintéressaient de la politique ? 4 millions de votants, des audiences inédites pour les débats télévisés. Jamais l'envie d'alternance n'a été aussi forte.
La Primaire : remarquablement organisée et relayée avec sérieux et enthousiasme par quelques 80 000 bénévoles, partout en France : bravo à tous.
François Fillon : il a fait une remontée spectaculaire ces derniers jours au point de finir nettement en tête dimanche. Nous aurons donc au second tour avec Alain Juppé et lui, deux candidats qui ont en commun d'incarner une certaine vision de la fonction présidentielle : tant mieux.
Nicolas Sarkozy : impeccable dans ses (nouveaux) adieux à la politique. Quel dommage que, dans le passé, le Sarkozy qui part n'ait pas davantage inspiré le Sarkozy Président et le Sarkozy candidat...
Exit les considérations de personnes : place au débat sur les projets, programmes et méthodes. Car si elles ont beaucoup de choses en commun, il y a bien deux propositions qui diffèrent sur le fond et sur la méthode.
Gare aux envies de radicalité : il n'y a pas dans ce débat d'un côté le candidat de la détermination et de l'autre celui de la demi-mesure : la France a certes besoin de réformes fortes, mais elles doivent être menées avec souci d'efficacité et de justice. Sinon, gare à la sortie de route qui paralyserait tout : il faut éviter le mirage des promesses intenables, et donc jamais tenues.
Rien n'est joué : la fulgurante ascension de François Fillon dans les derniers jours montre que tout est ouvert pour dimanche. Reste une question : que vaudra une telle volatilité des votes au moment de mettre en oeuvre les réformes ?
Les deux offres politiques ont beaucoup de points communs sans être identiques. Dans ce qui les différencie, le programme de François Fillon est, de loin, le plus radical tant dans ses objectifs que dans son calendrier. S'il répond aux envies de solutions absolues, je pense qu'il s'agit d'une double erreur :
erreur de diagnostic d'abord : si la situation de la France est si mauvaise, l'accroissement de notre dette jusqu'en 2022 représenterait la pire des réponses dans un pays qui dépense déjà plus d'argent aux intérêts de sa dette qu'à sa Défense. Quant aux 500 000 postes de fonctionnaires supprimés : où ? Il y a trop d'idéologie dans ce projet.
erreur de calendrier ensuite : ce programme arrive au moment où toutes les économies occidentales, USA compris, se retirent du "tout libéral". Sa mise en oeuvre à contre-temps serait une purge douloureuse pour tous, et d'abord les plus fragiles : on ne peut pas considérer qu'il s'agirait là simplement d'un "mauvais moment à passer" en attendant une hypothétique reprise future. Il y a trop de contre-sens dans ce projet.
Je préfère décidément un programme réaliste mené avec détermination, plutôt qu'un programme apparemment plus ambitieux mais irréalisable. C'est le contraire même de la faiblesse : c'est la condition de l'efficacité.
Mariage pour tous & filiation : J'ai détesté la manière volontairement clivante dont C. Taubira a porté la réforme du mariage pour tous, réforme dont j'ai par ailleurs en son temps approuvé l'objectif. Mais, franchement : la France a-t-elle besoin de rouvrir aujourd'hui les plaies encore vives de ce débat en revenant sur les questions de filiation, alors que la mise en oeuvre du mariage pour tous s'est déroulée de manière apaisée, sans rien ôter à quiconque ? Mauvais signal.
Principe de précaution : c'est un cas d'école de l'opposition Fillon / Juppé. Le "principe de précaution", introduit dans la Constitution en 2005 et qui ne valait que pour les questions environnementales, sert désormais de prétexte paralysant pour empêcher toute expérimentation. Emporté par ses envies de rupture, Fillon veut le supprimer, ce qui serait une régression aussi dangereuse qu'inutile. Juppé veut l'encadrer pour qu'il ne soit plus un frein à l'innovation. Où l'on voit que la radicalité d'un programme est souvent une fausse bonne solution.
L'obsolète opposition entre nation et Europe : François Fillon veut resserrer l'Europe -la grande absente de ce débat de la Primaire- autour des pays de la zone euro, en créant un nouvel organe distinct de la Commission : il continue de penser que les Nations pèseront demain. Alain Juppé, lui, veut renforcer le rôle et la place de la France en Europe, car le continent seul pourra exister dans la compétition mondiale. Il veut en réformer les institutions pour les rendre plus efficaces -c'est possible-, lancer des politiques communes en matière de défense, d'immigration, de commerce et de fiscalité.
Il est aisé d'entonner l'hymne anti-européen tant l'Europe est insatisfaisante aux yeux de tous. Mais l'Europe, c'est nous : comment pourrions-nous y être écoutés quand nous y sommes représentés par François Hollande et Harlem Désir ? C'est ça qu'il faut changer.
La vraie question de la primaire : le plus difficile au fond dans cette primaire, c'est que les électeurs sont tentés de choisir le champion de la droite. En réalité, c'est le mieux placé des candidats pour remporter la présidentielle de 2017 qu'ils doivent choisir.
Les électeurs de Marine Le Pen voteront pour elle et c'est un leurre d'imaginer que la candidature Fillon pourrait la priver de ces voix. Le véritable enjeu est donc de rassembler au centre : or, la désignation de François Fillon ouvrirait un boulevard aux aventures scabreuses. Là aussi, la rupture montre ses limites.
Je forme le voeu que cette semaine décisive permette aux électeurs désireux d'une alternance utile au pays de mesurer pleinement l'importance de leur vote dimanche.