A propos du #PenelopeGate
Les révélations récentes au sujet de la rémunération de l’épouse et des enfants de François Fillon suscitent une profonde émotion dans le pays : ce n’est pas tant le principe même des emplois dits « familiaux » au Parlement -dont on nous dit qu’un parlementaire sur cinq y aurait recours en toute légalité- qui fait problème, d'autant que, si j’ai bien compris, François Fillon y a de lui-même renoncé en 2012.
Ce n’est pas non plus l’implication sûrement réelle de son épouse à ses côtés qui mérite d’être suspectée. Non : c’est le montant des rémunérations qui pose question, dans un pays où le revenu médian est inférieur à 2000 € par mois. Les salaires annoncés donnent le désagréable sentiment que chez certains dirigeants, les principes de rigueur budgétaire ne vaudraient que pour les autres : étonnez-vous après ça du discrédit jeté.
L’ancien assistant parlementaire que j’ai été durant 11 ans aux côtés du Docteur Chollet n’en revient d'ailleurs toujours pas : je revois, comme si j’y étais encore, Madame Chollet, l’épouse du député, passant la majeure partie de ses journées, du lundi matin au dimanche soir, à recevoir le courrier, répondre au téléphone, préparer avec l’équipe parlementaire l’agenda et les déplacements de son époux, relire les projets de courriers et de discours, recevoir les solliciteurs, représenter son mari dans certaines manifestations : bref, je la revois totalement impliquée dans l’action parlementaire de son mari et tout cela sans que jamais un euro d’argent public ne soit tombé de ce côté-là du portefeuille familial. Il y avait sans doute davantage de tante Yvonne que de Pénélope chez Madame Chollet… Alors, moi aussi, bien sûr, je suis choqué de ce que j’entends, si c'est confirmé.
Mais je suis également choqué par le procédé, sans rien céder, je vous l'assure, aux thèses complotistes : la mise en scène et le calendrier de cette « transparence » me mettent mal à l’aise. Pourquoi Fillon et seulement lui ? Si « transparence » il doit y avoir, je la veux totale et sans exclusive. Parlez-moi, Mesdames et Messieurs les journalistes, des revenus de Jean-Luc Mélenchon ! Fouillez les moyens de subsistance de Benoit Hamon et de son épouse ! Expliquez-moi dans le détail de quoi vit Emmanuel Macron, qui finance son train de vie et sa campagne ! Publiez les revenus de Marine Le Pen et de son compagnon ! Parlez-nous des revenus passés et futurs de François Hollande ! Et tant que vous y êtes, dites-nous comment le Canard Enchainé a obtenu ses informations !
Ai-je vraiment envie d’obtenir ces informations ? En réalité, pas le moins du monde bien sûr, sauf la dernière peut-être... Je souhaite surtout que ceux qui sont en charge de l’argent public ou qui en vivent soient soumis à des règles strictes et équitables de contrôle par des autorités indépendantes. Les règles qui existent aujourd’hui sont infiniment plus rigoureuses qu’il y a 25 ou 30 ans et c’est tant mieux. S’il faut aller plus loin dans le sens d’un contrôle renforcé, faisons-le.
Mais ce qui me révulse dans le PenelopeGate, c’est de voir le tribunal médiatique autoproclamé choisir, seul, ses victimes et le moment de son opération de "transparence". Car il y a derrière tout ça des gens qui, dans l’ombre, jouent avec nous, s’amusent de nos émotions et nous manipulent avec des bouts de vérité choisis par eux. Cela n’a rien à voir avec la démocratie : c’est même l’exact inverse de la démocratie.
Non seulement on bafoue l’honneur d’un homme qui, je le crois profondément, ne le mérite pas, quelles qu’aient pu être dans le passé les facilités contestables qu’il a peut-être accordées à ses proches, comme d'autres. Mais, plus grave encore que son honneur, le cirque médiatique détourne notre attention d’électeur de l’enjeu premier que constitue le choix du futur Président de la République et des réponses qu’il devra apporter aux graves problèmes que nous rencontrons.
Songez que dans la confusion du moment, Emmanuel Macron a pu ainsi, tranquillement, annoncer qu’il ne publierait son programme que… mi-mars, soit un mois à peine avant le premier tour de l’élection : bonjour le respect des électeurs ! Mais, de ce scandale-là, pas un journaliste ne parle…
Ce « PénélopeGate » fait revenir en moi les mots d’un certain François Mitterrand, prononçant l’éloge funèbre de Pierre Bérégovoy : « Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d’entre nous ».
Depuis ce 4 mai 1993, rien, visiblement, n’a changé…