Recomposition ?
Les récentes déclarations de Manuel Valls, se disant prêt à voter Macron mais à collaborer avec François Fillon si ce dernier était élu, m'incitent à publier après l'avoir actualisée, la chronique ci-dessous que je "stocke" depuis longtemps, sans la publier.
BL
Depuis 1962 et l’élection du Président de la République au suffrage universel, la désignation du chef de l’Etat est le pivot de la vie politique française. Cette vérité s’est encore renforcée depuis l’avènement du quinquennat et la concomitance quasi-automatique des élections présidentielles et législatives. Ce sera encore plus vrai cette année avec l’organisation en septembre prochain des élections sénatoriales qui renouvelleront la moitié des membres de la Haute Assemblée. Président de la République, Députés et la moitié des Sénateurs : cette année 2017 est le moment ou jamais de déterminer la politique du pays.
Tout ça pour dire que, derrière les programmes, le feuilleton des affaires, la bataille des hommes et la compétition des partis, l’élection présidentielle qui se déroulera dans trois semaines est un moment-clé où se détermine bien plus que le nom du locataire de l’Elysée : c’est aussi l’occasion d’infléchir durablement la vie politique du pays et c’est cela que j’aimerais évoquer dans cette chronique.
Envie de rupture
Partout émergent l’envie de rupture, la perte de confiance en l’avenir et l’affaiblissement du sentiment collectif. Partout et pas seulement en politique, ce qui en dit long sur le malaise qui nous traverse et dont, en toute rigueur, les politiques ne sont sûrement pas les seuls responsables, même si ça nous arrange de le penser parfois. Nous serions bien inspirés de nous livrer à une introspection sérieuse.
Mais ces sentiments existent, aussi, dans la vie publique et l’état supposé de l’opinion à trois semaines du premier tour le révèle de manière éclatante : chacun à leur manière, Le Pen, Mélenchon et Macron sont les premiers bénéficiaires de ces sentiments puisqu’ils entendent non seulement incarner une forme de rupture mais aussi présenter une offre politique radicalement nouvelle.
Décrochage des partis
Du coup, les candidats désignés par les partis de gouvernement que sont Fillon et Hamon portent sur leurs épaules, au-delà de leurs propres limites, le poids du discrédit des partis politiques, accusés de n’être que des écuries électorales au service des egos et des machines légales à financement de la vie publique. Ce qui n’est pas tout-à-fait faux, de mon point de vue. Leur organisation, leur mode de fonctionnement n’ont guère pris la mesure des mutations de notre société. Résultat : le total des militants encartés, tous partis confondus, représente moins de 1% du corps électoral, c'est-à-dire presque rien.
Or ces partis, même ainsi discrédités, continuent de structurer la vie politique du pays : leur rôle est même inscrit dans notre Constitution. On va d’ailleurs les retrouver au sommet de leur capacité d’influence dès les élections législatives et sénatoriales qui arrivent : sélectionner des candidats crédibles partout nécessite une sacrée organisation territoriale. Même survivants d’un monde qui disparait, les partis joueront un rôle prépondérant cette année et il sera intéressant de regarder la capacité d’En Marche à relever ce défi en juin si Macron est élu Président (ou pas, d'ailleurs).
Recomposition
Mais revenons au rôle pivot de l’élection présidentielle : avec cette envie de rupture partout présente, les conditions sont réunies pour que l’élection présidentielle permette une véritable recomposition politique et cela, quel que soit le Président élu. Les ralliements de ces derniers jours en augurent bien d’autres dans les semaines à venir. Mais on aurait tort de penser qu’il n'y a là que tentatives individuelles de sauvetage électoral, même s'il y en a.
La vérité, c’est que cette élection présidentielle et le calendrier électoral particulier de 2017 ouvrent une occasion inespérée de recomposition. Entre la déception que leur procure l’action publique, l’obsolescence des partis et nos difficultés face aux changement du monde, les Français réclament depuis longtemps cette recomposition : il n’y a plus guère que les partis traditionnels, arc-boutés sur leurs vieilles certitudes, pour refuser de le voir. Dans le passé, des candidats, centristes le plus souvent, se sont essayés, en vain, à présenter une telle offre politique. Jacques Chirac s'y est refusé en 2002, malgré les 82,21 % qu'il avait obtenus face à Jean-Marie Le Pen. Et si 2017 était le bon moment ?
Coalition à l’allemande
Quand il y a trois ans, Angela Merkel a raté de peu la majorité au Bundestag, elle aurait pu tenter de débaucher quelques députés et de bricoler une alliance avec les Verts. Elle a fait un autre choix : celui de trouver un accord de gouvernement avec son opposition et cela, malgré quelques désaccords de fond (par exemple, la mise en place d’un salaire minimum). Cet accord a été trouvé et l’Allemagne ne s’en est pas mal portée, c’est le moins qu’on puisse en dire. Mieux : alors que les opposants à cette coalition prédisaient l’échec de cette formule et l’avènement en suivant des mouvements les plus radicaux, on voit qu’aujourd’hui la suite se jouera sans doute en septembre entre Angela Merkel (CDU-CSU conservateurs) et Martin Schulz (SPD socialiste).
Une telle coalition suppose de mettre en œuvre la « théorie de l’omelette » : on laisse de côté les formations les plus radicales, à droite comme à gauche. Et on bâtit une coalition avec le reste du spectre politique : non pas en suscitant quelques débauchages individuels de personnalités en déshérence ou en feignant la confusion des idées. Mais en construisant un plan d’action gouvernemental bâti à la fois sur le socle des idées communes (et il y en a beaucoup) et sur le fruit d’un compromis dans lequel chaque famille de pensée accepte de sortir de son pré-carré idéologique.
On m’objectera que le mode de scrutin au Bundestag est bien différent du nôtre (lire à ce sujet ce court article du Monde). Mais justement : l’élection présidentielle peut être le moment où un candidat s’engage sur une réforme de notre mode de scrutin législatif particulièrement injuste. L'exemple allemand nous montre aussi qu'on peut mieux représenter les minorités sans susciter d'instabilité institutionnelle : les opposants à la proportionnelle se moquent de nous quand ils agitent le spectre de la IVème république.
Mon point de vue
Bien malin qui pourrait pronostiquer avec certitude aujourd'hui le résultat de la présidentielle. Ce qui me semble certain, en revanche, c'est que, quoiqu'en disent les uns et les autres, aucun candidat élu -aucun- ne disposera en même temps de la légitimité, du poids politique et d'une majorité parlementaire suffisants pour mettre en oeuvre tout seul les réformes dont le pays a un besoin criant.
Je plaide donc pour que la présidentielle, quel que soit le nom du vainqueur le 7 mai, ne marque pas la victoire d'un camp contre un autre qui n'aurait, du coup, plus qu'à se taire pendant 5 ans et s'opposer à tout. Je plaide pour que l'élection marque le début d'une période de cinq ans au cours de laquelle les forces politiques de gouvernement uniront leurs efforts pour s'entendre, au-delà de leurs différences idéologiques assumées et respectées, sur un programme de réformes indispensables au pays et acceptables par les Français. C'est bien cela que les Français attendent de leurs responsables politiques : s'occuper des problèmes du pays.
Contrairement à ce qu'on m'objectera peut-être, je ne ressors pas ici le sempiternel vieux rêve des centristes mous en écrivant cette chronique : je suis au contraire convaincu que cette recomposition que j'appelle de mes voeux est non seulement le meilleur moyen de redonner de l'efficacité à l'action publique, mais plus encore qu'elle est le seul chemin qui puisse nous préserver qu'un jour prochain, l'envie de rupture balaie tout dans le pays.