Macron, 3 mois après

Publié le par Bernard LUSSET

Voilà près de 3 mois qu'Emmanuel Macron a été élu Président de la République. Son élection a incontestablement bousculé la vie politique du pays. Mais au-delà de la rupture de style, que nous disent ces premiers mois de présidence ?

Je passe vite sur l'incompétence des nouveaux députés : les meilleurs d'entre eux finiront par apprendre, jusqu'à ressembler un jour -détail piquant !- à leurs prédécesseurs dont ils ont dit tant de mal et dont l'absence a tant fait défaut à l'assemblée ce printemps. L'erreur aura été de confier des fonctions aussi éminentes et complexes que des présidences de commission ou de séance à des novices : ce choix en dit long sur le mépris profond du nouveau Président à l'égard des élus en général et des parlementaires en particulier.

Passe aussi que, sous couvert de "moralisation" de la vie politique, on ait taillé des croupières aux députés et sénateurs devenus suspects de toutes les faiblesses et toutes les bassesses. Face à cet anti-parlementarisme alimenté, j'ai une pensée pour ces élus lot-et-garonnais qui ont, des décennies durant, œuvré pour leur territoire. Ils furent tous des cumulards impénitents et d'odieux distributeurs de réserve parlementaire : bref, l'incarnation même de la vieille politique avec laquelle il fallait rompre. Les Francois-Poncet, Gouzes, Laurrissergues, Chollet, Dionis ou Soucaret et d'autres, là où ils se trouvent, ont dû bondir plus d'une fois ces dernières semaines en entendant les sottises infamantes débitées à leur sujet par les nouveaux maîtres du dégagisme.

Où sont passés nos députés et sénateurs d'antan ?

Mais qui peut croire qu'un texte de loi suffirait à prémunir la République des faiblesses des hommes ? A quoi riment ces discours ridicules qui veulent nous faire croire que nous serions désormais passés en matière de moralité publique de l'ombre à la lumière ? Et que dire de ces parlementaires qui, sans rien dire, rognent leur propre liberté d'action, leur part de décision pour donner toujours plus de pouvoir aux administrations centrales en espérant ainsi vainement restaurer leur blason ?

Non contents de réduire leur nombre, on va réduire aussi leur pouvoir de débat, de vote, d'influence, de contrôle de l'action du gouvernement. Totalement dépendants de l'investiture macronienne à laquelle la plupart doivent exclusivement leur élection, ces nouveaux élus acceptent tout, sans broncher, sans même mesurer vraiment l'ampleur de la toise démocratique sous laquelle on est en train de les faire passer, eux et leurs successeurs. Comment peuvent-ils accepter un tel abaissement de la fonction parlementaire ? Où sont passés nos députés et sénateurs d'antan ?

Et comment qualifier ces investitures aux sénatoriales comme aux législatives qui font jazer jusque dans les rangs d'En Marche ? La principale vertu des candidats investis, au fond, est d'avoir fait une allégeance opportune et zélée au nouveau chef : qui peut imaginer que nos territoires décrochés trouveront chez de tels candidats ainsi adoubés les défenseurs ouverts mais acharnés dont nous aurons besoin dans les prochains mois au Sénat ? A tout prendre, je préfère des candidats moins "nouvelle politique" mais qui assument ce qu'ils sont vraiment.

Non vraiment, ces débuts de l'ère Macron ne m'ont pas mis "En Marche" et, si j'en crois les gazettes, Macron lui-même commence à mesurer les limites et les difficultés de son exercice trop solitaire et égocentré du pouvoir. La "vieille" politique avait finalement du bon avec ses réseaux, ses partis, ses ancrages, ses élus, ses expériences acquises...

***

"En même temps", on a un Président jeune et habile qui porte une image renouvelée plutôt sympathique. Il s'essaie, plutôt pas mal, à un exercice de rassemblement qu'avant lui beaucoup de centristes avaient tenté sans y réussir. Ses débuts sur la scène internationale sont plutôt bien menés même si les résultats se font attendre : tout ça, c'est très bien pour le pays et je m'en réjouis donc. Mais :

Comment oser dire, sans rougir jusqu'aux oreilles, qu'il n'y aura plus un seul migrant qui couchera dehors dès l'année prochaine, quand on sait ce que l'ampleur des vagues migratoires à venir d'Afrique nous réserve pour l'avenir et l'énergie qu'il faudra mobiliser dans le temps pour les prévenir et les endiguer ?

Comment oser dire que la fracture numérique aura totalement disparue en France en 2020 quand on connaît la réalité de ce chantier ? Macron a raison d'en faire une priorité absolue pour le pays : c'en est une, sans doute la première. Mais il nous ment avec ses promesses en chocolat, juste pour donner l'illusion d'un traitement équitable des territoires.

Comment affirmer devant la Conférence des Territoires que les dotations d'Etat aux collectivités ne seront pas réduites et, la semaine suivante, tailler dans les crédits d'investissement DETR et FSIL ?

Combien de temps l'habileté communicante du Président sera-t-elle compatible avec une action gouvernementale qui vient chaque jour ou presque démentir les belles promesses élyséennes ? Le partage du travail Président / Gouvernement ne me choque pas : il est même dans la nature de nos institutions. Mais à la condition que la cohérence d'ensemble soit préservée : on en est loin.

D'ailleurs, devant le bazar qui s'instille partout et contrairement à un engagement pris pendant la campagne, la reprise en main de l'Elysée se fait tous azimuts : arbitrages, communication, pilotage de la majorité parlementaire. Jupiter est partout.

Emmanuel Macron -dont on ne rappellera jamais assez à quel point ses adversaires l'ont aidé à se faire élire...- incarne une forme de rupture que beaucoup de Français attendaient. Mais l'excessive priorité donnée dans son action publique au "comment" plutôt qu'au "quoi", à sa communication personnelle plutôt qu'au fond, au management plutôt qu'aux choix stratégiques ne permettra pas de satisfaire ces attentes.

Il ne suffit pas de faire naître l'espoir : encore faut-il y répondre. Tout reste à faire.

Macron, 3 mois après

Publié dans on en parle partout

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
2.200 milliards de dette, presque 100% du PIB, soit un smic pendant 2 milliards d'années. Il y a 2 milliards d'années apparaissait sur terre les premières formes de cellules dits "pluricellulaires"... et personne n'en parle !<br /> Le temps est à l'action et non plus à la politique politicienne. Il y aura encore de nombreux grincements de dents pour atteindre les 3% de déficit. Le rassemblement et la cohésion sont plus que jamais nécessaires... On ne peut prétendre investir dans une situation qui nous conduit directement à la Banqueroute. Les remèdes seront difficilement supportables si l'on continue dans cette voie...
Répondre