Union européenne : changer notre regard
L'Europe... Il suffit de prononcer ce mot pour susciter généralement deux réactions de rejet : une première en raison de la complexité des mécanismes et institutions de l'Union, que nous connaissons mal. Une seconde, à cause des dysfonctionnements de l'Union ou de l'insatisfaction que nous ressentons à son égard.
Et il y a du vrai là-dedans : la construction d'une union de 28 états, les ajouts des traités successifs, une prise de décision par compromis plus fréquente que nous n'en avons l'habitude avec nos institutions françaises de la Vème République : tout ça nous semble très compliqué. Quant aux résultats de l'action européenne, c'est bien simple : quand ils sont positifs, chaque Etat s'en arroge le bénéfice, "oubliant" l'apport de l'Europe. Quand ils sont mauvais, c'est la faute de Bruxelles ! Comment s'étonner, après ça, que l'Europe n'ait pas bonne presse chez nous. (Au fait : où sont nos députés européens ? Nous diront-ils un jour ce qu'il font ?)
Je vous propose pourtant d'essayer de changer votre regard, par exemple, en lisant le discours prononcé il y a quelques jours devant le Parlement européen par Jean-Claude Junker, Président de la Commission européenne. Je le joins à cette chronique. Pour vous donner envie de le lire, je me hasarde à publier ici quelques extraits, accompagnés de mes commentaires.
Vous y verrez que l'Europe qui avance, qui bataille, qui se construit est très différente de celle qu'on nous décrit. Imparfaite bien sûr, mais porteuse d'espoir. Elle mériterait plus d'attention de notre part.
Europe et croissance. "Ces deux dernières années, la croissance a été plus forte dans l'Union européenne qu'aux États-Unis. Elle se chiffre maintenant à plus de 2 % pour toute l'Union et à 2,2 % pour la zone euro. (...) Les institutions de l'Europe ont joué leur rôle en contribuant à faire en sorte que le vent tourne. Nous pouvons nous attribuer le mérite de notre plan d'investissement pour l'Europe, qui a généré jusqu'à présent 225 milliards d'euros d'investissements. Il a accordé des prêts à plus de 445 000 petites entreprises et à plus de 270 projets d'infrastructure".
La situation franco-française nous empêche de voir ce qui se passe : l'Europe -et singulièrement la zone euro- ont désormais retrouvé le chemin de la croissance. A la France de mener les actions nécessaires pour y prendre sa place.
Discipline budgétaire. "Nous avons eu le mérite d'avoir contribué à la baisse des déficits publics qui sont passés d'un niveau de 6,6% à un niveau de 1,6%. Nous le devons à une application intelligente du Pacte de stabilité et de croissance. Nous exigeons une discipline budgétaire mais nous veillons à ce qu'elle ne nuise pas à la croissance. Cela fonctionne en fait très bien dans toute l'Union européenne - en dépit des critiques".
Là encore, l'Union européenne avance plus vite que nous et nous y faisons figure de mauvais élève. Il n'est pas question là de se soumettre à un dogme, une idéologie mais d'adopter les règles de bonne gestion de l'ensemble de nos partenaires.
Quand les années auront passé, nous serons plus déçus par les choses que nous n'aurons pas faites que par celles que nous aurons faites.
Accords commerciaux internationaux. Je voudrais que nous renforcions encore notre programme commercial européen. L'Europe est ouverte au commerce, oui. Mais réciprocité il doit y avoir. Il faudra que nous obtenions autant que ce que nous donnons. (...) Le Parlement européen aura le dernier mot sur l'ensemble des accords commerciaux. Donc, ses membres tout comme les parlements nationaux et régionaux doivent être tenus parfaitement informés dès le premier jour des négociations. La Commission y veillera. Les citoyens ont le droit de savoir ce que propose la Commission. Fini le manque de transparence, finis les rumeurs et les procès d'intention dont la Commission ne cesse d'être l'objet.
La volonté politique est clairement définie : obtenir dans ces traités internationaux une indispensable réciprocité et garantir la plus grande transparence aux citoyens.
Immigration. Nous sommes parvenus à endiguer les flux de migrants irréguliers, sources de grande inquiétude dans de nombreux pays. Nous avons réduit de 97% le nombre des arrivées irrégulières en Méditerranée orientale grâce à l'accord que nous avons conclu avec la Turquie. Et, cet été, nous avons réussi à mieux contrôler la route de la Méditerranée centrale : les arrivées y ont diminué de 81% en août par rapport au même mois de l'année dernière. (...) L'Italie sauve l'honneur de l'Europe en Méditerranée.
Loin des discours alarmistes, Junker rappelle des faits, jamais présentés chez nous. Progressivement, l'action conjuguée des états de l'Union a permis de ralentir le flot des candidats à l'émigration.
Afrique. La solidarité ne peut pas être une solidarité exclusivement intra-européenne. Il s'agit aussi de mettre en place une plus grande solidarité avec l'Afrique : l'Afrique, berceau de l'humanité, est un continent noble et jeune. Notre fonds fiduciaire pour l'Afrique, doté d'une enveloppe de 2,7 milliards d'euros, ouvre des possibilités d'emploi partout sur le continent africain. Mais, alors que le budget de l'UE a assumé le gros du financement, la contribution de tous nos États membres réunis ne s'élève qu'à 150 millions d'euros. Le fonds atteint maintenant ses limites. Nous connaissons les risques d'une pénurie de financement : en 2015, de nombreux migrants ont voulu rejoindre l'Europe quand et parce que les fonds du Programme alimentaire mondial de l'ONU se sont épuisés. J'invite donc les États membres à joindre le geste à la parole et à veiller à ce que le fonds fiduciaire pour l'Afrique ne connaisse pas le même sort.
Jamais entendu ailleurs : c'est quand les pays développés cessent d'apporter l'aide annoncée que les flux migratoires reprennent. Quand comprendrons-nous que le développement en Afrique n'est pas seulement un geste de solidarité : nos propres intérêts en dépendent.
Principes fondateurs. Pour moi, l'Europe est un projet plus vaste que le marché unique, la monnaie, l'euro. Elle a toujours été une question de valeurs.(...) Dans mon scénario, l'Europe repose sur trois principes fondamentaux, que nous devons toujours défendre et promouvoir: la liberté, l'égalité et l'état de droit.
Trois principes communs aux 28 états mais finalement assez rares dans le monde. L'Europe porte la stabilité et le respect des droits.
Il est inacceptable qu'en 2017, des enfants meurent encore de maladies qui auraient dû être éradiquées depuis longtemps en Europe. Les enfants de Roumanie ou d'Italie doivent avoir le même accès aux vaccins contre la rougeole que les autres enfants d'Europe. Pas de si, ni de mais qui tiennent.
Harmonisation. Il y a quelque chose d'absurde à disposer d'une Autorité bancaire pour faire appliquer les normes bancaires, mais pas d'une Autorité commune du travail pour veiller au respect de l'équité dans notre marché unique. Nous devons la créer. (...) De nouveaux traités, de nouvelles institutions, cela nous parle, à nous, ici, à Strasbourg comme à Bruxelles. Mais ailleurs, ils ne veulent pas dire grand-chose. (...) Au lieu de se lancer tête baissée dans de futurs changements de traités, qui devront venir un jour ou l'autre, nous devrions tout d'abord nous défaire de l'idée qui voudrait qu'on ne puisse gagner que si d'autres perdent.
Je suis d'avis que nous devrions introduire le vote à la majorité qualifiée sur les décisions concernant l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés, la TVA, une fiscalité juste pour l'industrie numérique et la taxe sur les transactions financières. Car l'Europe doit être capable de décider plus rapidement et plus efficacement.
Contrairement à ce que racontent ses pourfendeurs, l'Europe a besoin d'être demain davantage politique, davantage intégrée pour être efficace.
Harmonisation (2). Dans la droite ligne des efforts menés par la Commission ces dernières années, je voudrais que notre Union se concentre davantage sur ce qui compte réellement. Nous ne devons pas agacer les citoyens européens avec des règlements qui régissent les moindres détails de leurs vies. Nous ne devons pas proposer sans cesse de nouvelles initiatives mais rendre des compétences aux gouvernements nationaux dans des domaines où cela fait du sens.
Le retour de la subsidiarité : ne transférer à l'échelon supérieur que les sujets réellement communs. Ca vaut pour l'Europe ; ça vaut aussi pour la France, trop jacobine, trop centralisée.
Conclusion. L'Europe n'est pas vouée à l'immobilisme. Elle doit le refuser. Helmut Kohl et Jacques Delors m'ont appris que l'Europe n'avance que quand elle fait preuve d'audace. Avant de devenir réalité, le marché unique, l'espace Schengen et la monnaie unique étaient considérés comme de simples vues d'esprit. Pourtant, ces trois projets ambitieux sont la réalité d'aujourd'hui. J'entends ceux qui disent qu'il ne faut pas surcharger la barque européenne, maintenant que l'Europe va mieux. Mais il ne faut pas, à l'heure où nous sommes, pécher par excès de prudence. Il ne suffit pas de réparer le toit. Nous devons commencer à terminer le travail maintenant. Maintenant qu'il fait beau, et tant qu'il fait encore beau. Parce que, quand les prochains nuages se formeront à l'horizon – et ils se formeront –, il aura été trop tard. Alors, larguons les amarres. Mettons les voiles. Et profitons des vents favorables.