Les Anciens et les Modernes, version 2017 ?

Publié le par Bernard LUSSET

Les Anciens et les Modernes, version 2017 ?

Les débats que suscite cette campagne présidentielle décidément imprévisible me font penser, toutes choses étant égales par ailleurs, à une réédition version 2017 de la querelle qui agita à la fin du XVIème siècle ceux qu’on appelait les « Anciens » et les « Modernes ». A l’époque, pour le dire d’un mot, se sont opposées non seulement des générations nouvelles aux précédentes mais surtout une vision nouvelle de l’écriture, de la pensée et des arts qui a préfiguré l’idéologie des Lumières. Quelques décennies plus tard, ce mouvement trouvait une traduction politique radicale avec l’avènement de la République. En 2017, c’est au sein même de la politique que survient le changement de paradigme, toutes proportions gardées.

Premier changement : l’arrivée imprévue au second tour de la présidentielle d’un homme inconnu il y a trois ans, à peine quadra, tout juste un an après la création ex nihilo de son mouvement. S'il emporte cette élection, ce sera un évènement sans précédent dans notre histoire politique ; jusqu'à présent, les victoires n'étaient le plus souvent acquises qu'à l’issue d’un long parcours personnel d'engagement dont l’élection présidentielle était l’aboutissement et où chaque défaite accumulée auparavant était autant de cicatrice glorieusement arborée sur le visage des prétendants grisonnants. Même Giscard, «jeune» Président élu en 1974, avait déjà 48 ans et 15 ans de présence gouvernementale et parlementaire derrière lui. Macron bouleverse radicalement la donne.

Changement de clivage aussi : en 2002, Chirac a incarné le camp des « républicains » face à l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen. Mais élu Président à plus de 80%, Chirac est redevenu classiquement le Président de son camp politique. Macron lui veut être, si on l’entend, le catalyseur d’un nouveau clivage structurant de la vie politique française. Finie la confrontation droite / gauche : place aux optimistes face aux nostalgiques, aux modernistes face aux conservateurs, aux européistes face aux nationalistes, aux opportunités du vaste monde face aux peurs du village gaulois, aux tenants de la bienveillance citoyenne face aux militants belliqueux.

Changement enfin dans notre représentation politique : ce nouveau paradigme met à bas les partis politiques tels qu'on les connait grosso modo depuis plus de 50 ans. Ce n’est pas seulement une génération qui vieillit d’un coup, pas seulement de visages à renouveler dont il est question : il s’agit de fonder une majorité nouvelle, différente. Juppé disait : "couper les deux bouts de l'omelette". Etonnez-vous après ça des interrogations existentielles et véhémentes des militants et cadres du PS et de LR, les deux principales victimes de ce dynamitage en règle.

Pour autant, Macron n’est ni le brouhaha ni le souffle puissant de la révolution : ça se saurait. C’est l’émergence d’un regard nouveau, d'une volonté assumée de penser la politique avec les règles et les mots d’aujourd’hui, plutôt que sur les axiomes d’hier, un peu comme la grande querelle des Anciens et des Modernes. On sait comment se termine ce genre de querelle : même si ça prend parfois du temps, même si le chemin est rempli de hoquets et d'allers-retours, ce sont toujours les Modernes qui l’emportent à la fin. "Parce que c'est nous", comme le dit Dantzig.

Ceci dit, beaucoup d'inconnues pèsent encore sur ce chemin. Et d'abord l'issue de la présidentielle : on aurait tort d'imaginer la victoire de Macron comme acquise. Imaginez Marine Le Pen à l'Elysée... Ensuite l'issue des législatives : Macron va y présenter 577 candidats et espère emporter avec eux une majorité pour gouverner. S'il l'obtient, on aura un quinquennat très Macro-centré et ce serait, de mon point de vue, une mauvaise chose : pas la rénovation annoncée ; juste une tête nouvelle. Si en revanche, il n'obtient qu'une majorité relative, ce que je crois et que j'espère, alors peut-être entrerons-nous dans une période vraiment nouvelle.

Voilà pourquoi, une fois l'élection présidentielle passée, il nous faudra désigner les meilleurs députés possibles, solides dans leurs convictions mais ouverts aux vents nouveaux, affranchis des querelles d'états-majors et centrés sur les sujets essentiels : là, il n'est pas question de cohabitation revancharde ni de débauchages cosmétiques, mais de coalition consentie et construite, à l'allemande. Si on en arrive là, alors viendra ce temps nouveau que, faut-il le rappeler, les Français réclament et espèrent de leurs politiques depuis bien longtemps.

Publié dans on en parle partout

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A
Très bon site ! Je vous remercie pour l'article
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