Ruée vers l'Europe
Je viens de terminer la lecture du livre de Stephen Smith : "Ruée vers l'Europe : la jeune Afrique en route pour le vieux continent". C'est un livre qui bouscule quantité d'idées préconçues, l'auteur se tenant à saine distance des poncifes mille fois entendus sur le sujet, entre la fumeuse théorie du "grand remplacement" et la non moins contestable posture d'une générosité nord-sud béate. La science -ici la démographie- vient étayer un constat acéré qui éclairera la réflexion de tous ceux qui s'intéressent à l'Afrique et à ses relations avec l'Europe.
En réalité, nous devrions tous lire ce livre car le sujet est absolument premier : il faut notre aveuglement et notre court-termisme pour ne pas voir que l'ilot de prospérité européen ne peut que susciter l'espoir dans un continent africain certes porteur de grands forces mais où trop de besoins élémentaires demeurent insatisfaits.
Face à ce mouvement que Smith considère comme inéluctable, l'auteur nous rappelle que nous, Européens, avons connu des temps où nous sommes allés chercher nous aussi meilleure fortune ailleurs : en Afrique, précisément mais aussi en Amérique, par exemple. Comment pourrions-nous dénier aux Africains ce que nous avons nous-mêmes accomplis dans un passé pas si éloigné que ça ?
Entre 1850 et la Première guerre mondiale, 60 millions d’Européens – sur 300 millions au début du XXe siècle – ont émigré, dont 43 millions aux États-Unis. Je dis en substance que, comme chaque famille européenne avait naguère un oncle d’Amérique, chaque famille africaine aura dans deux générations un neveu ou une nièce d’Europe
Parmi les idées reçues battues en brèche dans ce livre sans concession, celle-ci qui ne manquera pas de faire débat : de manière paradoxale, l'Europe en apportant son aide au développement contribue à faire apparaître une nouvelle classe sociale émergente qui, plus que les autres, aspire à trouver ailleurs, et particulièrement en Europe, la promesse d'une vie meilleure.
On aurait tort d'en conclure que la bataille du développement serait inutile au mieux. Ce livre est dérangeant assurément, notamment parce qu'il touche à des questions identitaires auxquelles Africains et Européens sont également et légitimement attachés. Dérangeant et même contestable sur certains points, ce livre nous invite en tout cas à abandonner nos clichés de part et d'autre de la Méditerranée et sa lecture est, de ce fait, salvatrice.