Islamabad, Dar-es-Salam, Nouakchott
Asia Bibi : condamnée à mort pour "blasphème" pour avoir bu de l'eau d'un puits "réservé" aux musulmanes
Comme tout le monde, je suis profondément choqué par le sort fait à Asia Bibi. Condamnée à mort en 2010 pour avoir contesté qu'un puits puisse être réservé aux seuls musulmans, elle a été relaxée le 31 octobre dernier par la Cour suprême du Pakistan. Mais au bout de trois jours de manifestations monstres à l'initiative du parti fondamentaliste Tehreek-e-Labaik, le gouvernement d'Islamabad a interdit à Asia Bibi de quitter le pays et s'est même engagé à faciliter la requête en révision de son acquittement : un absolu déni de droit après une décision de cour suprême... Lors des manifestations de rue, ces extrémistes moyenâgeux ont dit leur refus de voir l'Occident leur "imposer sa vision des droits de l'homme". Aux dernières nouvelles, Asia Bibi aurait finalement été libérée et mise sous protection. Le gouvernement pakistanais aura-t-il le courage de la laisser, elle et sa famille, quitter le pays en sécurité ?
Autre continent, autre sujet : la Tanzanie. Ce pays combat et condamne l'homosexualité. Le Gouverneur de la région de Dar-Es-Salaam a ainsi expliqué ces derniers jours que l’homosexualité "foule au pied les valeurs morales des Tanzaniens et des deux religions chrétienne et musulmane". Répondant par avance aux critiques extérieures, Paul Makonda a indiqué : "Je sais que lorsque je dénonce l’homosexualité, il y a des pays qui sont fâchés contre moi. Mais je préfère courroucer ces pays que courroucer Dieu". Selon une Association internationale LGBT, 72 pays dans le monde continuent d'assimiler l'homosexualité à un crime et dans 8 d'entre eux, la peine encourue est la peine capitale. Sans parler de tous les pays où ces orientations sexuelles sont réprimées sous d'autres motifs officiels et où les homosexuels vivent dans la peur.
Esclavage : Washington exclut la Mauritanie de l'Agoa - JeuneAfrique.com
Donald Trump a informé le Congrès américain qu'à partir du 1er janvier 2019, il mettra fin " à l'admissibilité de la Mauritanie aux avantages en matière de préférence commerciale, en vertu...
https://www.jeuneafrique.com/658304/politique/esclavage-washington-exclut-la-mauritanie-de-lagoa/
Troisième exemple : la République Islamique de Mauritanie a signé et ratifié la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples au début des années 1980 comme l'ont fait la plupart des Etats d'Afrique. Dans cette charte africaine -différente de celle de l'ONU- la pratique de l'esclavage est explicitement dénoncée. Il est pourtant de notoriété publique qu'en la matière, la Mauritanie a beaucoup de progrès à faire pour mettre ses pratiques en conformité avec les traités qu'elle a signés. Faut-il, comme vient de le décider Donald Trump, sanctionner cet Etat en instaurant des barrières douanières à ses (maigres) exportations vers les Etats-Unis ? Je n'en suis pas sûr.
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Ces trois exemples pris parmi beaucoup d'autres suffisent-ils à diviser la planète entre "barbares" et citoyens "civilisés", les occidentaux étant forcément du bon côté ? Evidemment, non et pour deux raisons.
La première, c'est que nous avons la mémoire courte. Nous faisons comme si nos valeurs s'étaient construites en un jour, comme si elles n'avaient pas connu de hoquets, comme si nous étions en quelque sorte le phare universel de la pensée moderne. Mais regardons-nous lucidement : de quand date la séparation de l'Eglise et de l'Etat en France ? 1905, à peine plus d'un siècle et les débats d'aujourd'hui montrent que le sujet de la "laïcité à la française" n'est pas épuisé. Le droit de vote des femmes ? 1944, après une guerre où les femmes ont gagné au prix de leur sang la reconnaissance de leur rôle dans la société. Le droit à l'avortement ? 1975, après des débats parlementaires rudes dont la mort récente de Simone Veil a ravivé le douloureux souvenir. La suppression de la peine de mort ? 1981, au prix d'une décision politique venue d'en haut et sans doute contre l'avis majoritaire des Français d'alors. Le mariage entre personnes de même sexe ? 2013 avec des agressions homophobes en France qui, c'est le moins qu'on puisse en dire, ne diminuent pas. Nous aurions donc tort de nous ériger en modèle : bien des pays ont adopté ces réformes avant nous et leur adoption a été -et demeure- chez eux comme chez nous l'aboutissement d'un long et souvent chaotique processus collectif.
La deuxième raison qui doit nous imposer la plus grande retenue, c'est qu'à aucun moment nous n'aurions accepté, nous Français, que l'une ou l'autre de ces réformes nous soient imposées de l'extérieur, fût-ce en rappel de traités que nous aurions signés. Souvenez-vous de notre malaise lorsque le Comité de l'ONU sur les Droits de l'Homme a considéré, il y a quelques semaines, que l'interdiction française du voile intégral dans l'espace public était contraire, justement, à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de l'ONU : nous avons jugé cet avis incongru, malvenu et opposé à notre conception française de la dignité des femmes. Personne n'a d'ailleurs imaginé une seconde modifier la loi française, non ?
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Faut-il pour autant abandonner le combat partout en faveur du respect des droits élémentaires de l'homme ? Je pense exactement le contraire ! Mais il faut le faire non pas parce que nous chercherions à imposer notre point de vue, notre culture, notre histoire aux autres mais parce que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme approuvée par l'ONU en 1948 est justement universelle. Ce qui signifie que ce n'est pas l'Occident contre les autres : c'est l'adhésion volontaire des Etats-membres à ces valeurs qui sont différemment perçues selon les endroits du monde où l'on vit, le niveau d'éducation des populations, le rôle culturel et social joué par les religions et courants de pensée, l'histoire locale, etc... Je crois absolument que le train de l'histoire avance inexorablement dans le sens des valeurs universelles mais je sais que les modalités et le calendrier pour atteindre cet objectif commun varient et varieront d'un pays à l'autre, même si ce constat nous semble décevant.
Du coup, qu'est-ce qui est véritablement utile pour faire progresser plus vite les droits universels ? Comment protéger aujourd'hui davantage les individus opprimés là où ils vivent, qu'il soient chrétienne buveuse d'eau au Pakistan, réduits en esclavage en Mauritanie ou homosexuels en Tanzanie et ailleurs ? Je partage ici le goût amer que me laisse l'absence de réponse satisfaisante à ces questions nées de ces trois exemples, pris parmi tant d'autres.