Après le 17 novembre
La journée du 17 novembre est désormais derrière nous. Le drame qui a coûté la vie à une manifestante, ajouté aux plus de 400 blessés et aux plus de 110 arrestations, montre l'utilité d'organiser ce genre d'évènement en liaison étroite avec les forces de l'ordre. Les quelques passages à l'acte racistes, homophobes et violents de rares individus isolés témoignent enfin de la difficulté de ce genre d'exercice spontané. Ces comportements inadmissibles, largement condamnés par les gilets jaunes eux-mêmes, n'enlèvent rien à la légitimité des questions posées et des protestations émises.
Ceci dit, j'avoue être quasiment tombé de ma chaise en écoutant dimanche soir deux gilets jaunes, invités de BFMTV. Au journaliste qui les interrogeait pour savoir ce qu'il faudrait pour que cesse ce mouvement, le premier a répondu : "Que Macron démissionne !". L'autre, sentant l'énormité de la réponse, a cru en atténuer le caractère scandaleux en ajoutant : "Plutôt l'organisation de nouvelles élections législatives". A cet instant, j'ai mesuré, comme je l'écrivais il y a quelques jours, que rien de bon ne pourrait sortir de ce mouvement qui part dans tous les sens et ne peut donc pas appeler de réponse concrète.
La spontanéité citoyenne ne peut pas se substituer au suffrage universel
En 2017, un peu plus de 20 millions de Français ont glissé un bulletin Macron face à Marine Le Pen. Ils étaient plus de 8,6 millions d'électeurs à l'avoir fait dès le premier tour. Quand bien même les gilets jaunes auraient rassemblé 200 ou 300 000 personnes le 17 novembre, on voit bien que cela ne représente qu'à peine plus de 3% des électeurs Macron du premier tour, une infime goutte d'eau au milieu des 45 millions d'électeurs.
J'ajoute que le nombre n'y suffirait pas : le jour où la rue commandera, le désordre s'installera. Notre système représentatif dans lequel nous élisons nos représentants politiques, syndicaux ou associatifs à tous les échelons a sans doute des défauts mais il permet l'expression libre de tous, dégage des majorités pour gouverner et soumet les élus à la sanction du suffrage universel à l'élection suivante. C'est quand même autre chose que le bazar plus ou moins sympathique du 17 novembre où chacun y est allé de sa revendication. Comment ne pas voir que les premières victimes du désordre seraient celles-là même qui manifestent ?
Sur le consentement à l'impôt
Tous les systèmes de solidarité fonctionnent chez nous de la même manière : chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Ce principe, popularisé par Marx, est un principe absolument fondateur de tout notre système de solidarité et de redistribution. C'est par les prélèvements (impôts, taxes, charges sociales) payés par ceux qui le peuvent qu'est financée la redistribution, au bénéfice de ceux qui en ont besoin et dans la limite des fonds collectés.
Selon les individus et les moments de la vie, ce principe peut être vécu comme une forme d'injustice : travaillant, en bonne santé, sans pépin majeur pour soi-même ni sa famille, on est principalement contributeur au système et on trouve ça lourd. Mais le jour où, de contributeur on devient bénéficiaire de cette solidarité à un titre ou un autre, on la trouve souvent trop chiche. Ce consentement implicite à l'impôt vole aujourd'hui en éclats à la fois chez ceux qui paient -trop de leur point de vue- et chez ceux qui reçoivent -pas assez de leur point de vue...
Un mouvement qui vient de loin
Ne faisons pas comme si ce mouvement des Gilets Jaunes venait de nulle part : voilà des années qu'on le sent arriver. La montée inexorable de l'abstention, la chute des adhésions aux différents syndicats, la crise des vocations dans le monde associatif, le nombre croissant d'élus qui baissent les bras : tout ça traduit, et depuis longtemps, la défiance qui s'est progressivement instaurée à l'égard de notre système représentatif. L'arrogance urbaine et jacobine qu'a donné à voir Emmanuel Macron, son inexpérience politique et sa croyance excessive dans les bienfaits de la mondialisation n'ont été qu'un élément déclenchant, certes malheureux, mais seulement un élément déclenchant de cette crise réelle.
En sortir
Je ne vois pas comment un mouvement aussi désorganisé et des revendications aussi diverses pourraient trouver une réponse gouvernementale satisfaisante. Même l'idée -intelligente- de Laurent Berger de la CFDT de convoquer une sorte de Grenelle se heurte à des difficultés de mise en oeuvre considérables. J'espère pourtant que le Gouvernement, passé son refus initial, y réfléchit tout de même. Car sinon, comment sortir de cette situation autrement que par une nouvelle accumulation de frustrations ? Jusqu'à quand la soupape de la cocotte-minute sociale tiendra-t-elle ? Faut-il vraiment attendre le prochain scrutin européen, son taux d'abstention record et les bons résultats des formations les plus extrémistes pour ouvrir les yeux ?
Il appartient aux pouvoirs publics, et d'abord au Président de la république, d'entreprendre une réforme qui ne figurait pas à son programme mais qui, pourtant, s'impose désormais : la réforme du gouvernement, de la manière de gouverner ce pays. Sans doute la plus difficile mais la plus impérieuse des réformes car il n'est pas acceptable qu'une part croissante des citoyens ne se reconnaisse plus dans notre projet collectif.
Et pourtant, c'est bien ce qui se passe.