Dilemmes macroniens
La "fin du monde" contre la "fin du mois" : Emmanuel Macron a manifesté cette semaine la volonté de traiter les deux ensemble. Equation impossible ?
Fin du monde ?
Le mot est sans doute excessif, mais quatre exemples parmi bien d'autres montrent que, sans ambition réformatrice de notre part, nous nous précipitons en klaxonnant face à un mur :
- le mur du dérèglement climatique. Franchement, il faut s'appeler Trump pour encore oser dire que rien ne se passe dans le climat ou que l'homme y serait totalement étranger. Non seulement les indices de la catastrophe à venir se multiplient partout , mais même dans notre zone climatique tempérée, nous pouvons mesurer la rapidité et la violence du changement qui s'opère. Avons-nous le droit de ne rien voir ? De ne rien faire ? Je ne le crois pas.
- le mur du coût des énergies fossiles. Coût financier, coût environnemental, coût sanitaire : nous vivons le début de la fin des énergies fossiles. C'est une transformation considérable et donc douloureuse des modes de vie construits depuis un siècle. Cela change-t-il quoi que ce soit à l'inexorable perspective ? Non.
- le mur de la dette publique. Qui ne sait qu'un jour ou l'autre, les taux d'intérêt remonteront, soit mécaniquement de manière progressive, soit brutalement à la faveur d'un évènement mondial ? Ce jour-là, les dettes publiques ne seront plus seulement un mauvais cadeau refilé à nos enfants : elles seront un boulet explosif pour nous mêmes et déclencheront des décisions déchirantes douloureuses.
- le mur de la dépense publique. Où que se portent les oreilles, partout s'exprime la même attente contradictoire : l'Etat doit moins prélever mais l'Etat doit répondre à des attentes croissantes de redistribution. Un enfant de CM2 comprendrait qu'une telle équation est insoluble ; pas nous. Nous dépensons trop et, par conséquent, nous sollicitons trop les contribuables.
Quatre exemples parmi d'autres qui, à défaut d'annoncer la fin du monde, promettent la fin d'un monde, dont le successeur sera moins confortable, moins protecteur, moins sécurisant. Moins équitable, aussi. Pouvons-nous réellement faire comme si nous ne le voyions pas ?
Fin du mois ?
Il y a trente ans, sur les bancs de la fac, nos profs d'économie nous parlaient déjà d'une notion américaine alors exotique chez nous : les "working poors" (travailleurs pauvres) pour désigner des habitants qui ne parvenaient pas à dépasser le seuil de pauvreté tout en travaillant. Chez nous, c'est un symptôme similaire qui se manifeste avec les gilets jaunes ; moins parce qu'ils seraient en dessous du seuil de pauvreté (même s'il y en a) que parce que le revenu tiré du travail, déduction faite des impôts, taxes et prélèvements obligatoires serait insuffisant pour répondre aux besoins du quotidien, ce qui n'est pas loin de revenir au même.
L'angoisse du découvert à la banque et des aggios qui vont avec, l'impossibilité de bâtir un projet de vie basé sur un emprunt, le recours quotidien à des produits bas de gamme, le sentiment de déclassement social, la peur de ne pas pouvoir subvenir à ses besoins demain, la crainte d'embarquer ses enfants dans une spirale sociale descendante. Il en est de même des classes moyennes qui, malgré un revenu officiel supérieur, voient leurs possibilités se réduire chaque année un peu plus, au gré des prélèvements en tous genres qui leur tombent dessus. L'angoisse du lendemain touche un nombre croissant de Français qui le crient, isolément depuis des décennies et collectivement depuis quelques jours.
Tous ont en commun de gagner "trop" pour bénéficier de la solidarité nationale mais trop peu pour recourir à des artifices de gestion qui verraient leur contribution se réduire. Comment s'étonner dans ces conditions que pour une large part des Français, l'immédiate difficulté de la fin du mois supplante l'aléatoire perspective de la fin du monde ?
Equation impossible ?
Des esprits plus brillants que moi creusent le sujet ces derniers jours. Quant à moi, je ne vois arriver que frustrations en cascade : impossible pour le gouvernement de renoncer aux réformes dont le pays a besoin, comme tant d'autres avant lui. Il y a 18 mois, tout le monde râlait devant un Hollande paralysé et incapable : voilà son successeur soumis à la critique inverse. Pourtant, il faut répondre à ce mouvement. Sans doute faut-il le faire autour de deux idées simples :
- une plus grande progressivité des réformes. Il parait que la suggestion faite en ce sens par François Bayrou ces jours-ci a agacé en haut lieu. Tant pis : Bayrou a eu raison. Lorsqu'une réforme est indispensable -et celle de la taxe carbone est de celles-là-, il faut néanmoins qu'elle soit supportable et acceptable. Progressivité et pédagogie ne feraient pas de mal. On a cru percevoir une inflexion dans le discours présidentiel ces derniers jours : elle doit se traduire en actes.
- un meilleur partage de l'effort. Aussi démagogique et dérisoire que cela puisse paraitre, l'Etat doit montrer l'exemple. Son train de vie notamment est devenu indécent en ces périodes d'efforts. L'annonce cette semaine de l'existence de plus de 600 hauts fonctionnaires à plus de 25.000 € / mois à Bercy -beaucoup plus que les ministres eux-mêmes !- est un chiffon rouge propre à faire dégoupiller n'importe qui. Plutôt que de raboter les crédits de ses services de terrain, l'Etat serait bien inspiré d'en revenir à un fonctionnement plus modeste à Paris, histoire de montrer l'exemple.
Alors, peut-être, ayant eu le sentiment d'être entendus, comprenant enfin le sens des réformes entreprises et convaincus que chacun y prend désormais sa juste part, les Français pourront-ils accepter les efforts qui leur sont demandés...