A propos de Zineb El Rhazaoui

Publié le par Bernard LUSSET

A propos de Zineb El Rhazaoui

Je publie ici, avec son autorisation, l'échange que j'ai eu avec mon ami et collègue élu Mohammed Fellah au sujet de Zineb El Rhazaoui. Cette jeune femme est une journaliste qui a travaillé et travaille encore chez Charlie Hebdo. Par hasard, cette franco-marocaine se trouvait à Casablanca le 7 janvier 2015, lors du raid meurtrier des frères Kouachi. C'est à ce hasard qu'elle doit d'avoir conservé la vie et d'être, depuis, une des femmes les plus menacées et les plus protégées de France, au point d'avoir transformé sa vie en un bunker ambulant et étouffant. J'ai entendu à plusieurs reprises cette jeune femme, militante des droits de l'homme et mère de famille, tenir à l'égard de l'islam des propos durs mais qui m'ont semblé justes, comme peu de musulmans en tiennent.

J'ai voulu en savoir davantage et, devant le caractère assez stéréotypé des portraits de presse que j'ai pu lire d'elle, j'ai interrogé mon collègue et ami Mohammed Fellah qui n'est pas seulement un homme de paix et d'équilibre, mais aussi un homme de culture et de réflexion, notamment pour tout ce qui touche à l'islam. D'où mon interpellation et la réponse qu'il m'apporte qu'on pourra lire ci-dessous. J'y ajoute en fin d'échange un petit commentaire personnel.

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Bonjour Mohammed.

A l'occasion, j'aimerais avoir ton sentiment sur Zineb El Rhazaoui. Cette femme me fait l'effet d'être très courageuse, mais je ne sais rien d'elle. La connais-tu un peu ? BL

Salut Bernard. Tu m’as demandé ce que je pensais de Zineb El Rhazoui qui a fait l’actualité ces derniers jours. D’abord je crois qu’elle a le droit de penser librement et de dire ce qu’elle pense, tout aussi librement. Les menaces dont elle fait l’objet sont bien entendu à condamner sans la moindre réserve. Tu sais comme moi que nous traversons une période historique où ça n’est plus vraiment la raison qui sert de boussole et oriente nos débats, mais bien une espèce de passion totalement débridée (cf. la partie factieuse des gilets jaunes).

Je crois aussi que quand on a la chance d’avoir une audience, d’être visible et écoutée comme l’est cette journaliste, il faut aussi comprendre que la moindre formule peut enflammer la toile et provoquer des réactions parfois violentes. Les musulmans ont aussi leurs gilets jaunes jusqu’auboutistes, persuadés qu’ils sont les garants d’un ordre sacré dont ils ont, seuls bien entendu, défini les contours.

Sur le fond, je crois que Zineb comme d’autres (Zemmour, Finkielkraut), en ne traitant qu’un aspect des problèmes complexes que traverse le pays, amènent ceux qui les écoutent à en tirer des conclusions simplistes. La journaliste indique que « l’islam doit se soumettre à la critique ». Mais l’islam est critiqué (au sens de la pensée critique) depuis 14 siècles par les savants musulmans eux-mêmes ! Ce qui a d’ailleurs généré non pas un islam monolithique mais des islams (les chiites, les sunnites eux-mêmes divisés en quatre écoles, l’islam turc, arabe, africain, etc..).

Je crois que la journaliste voulait dire que « les musulmans (et non pas l’islam) doivent se soumettre à la critique » entendant par-là que ceux qui répondent aux critiques par la violence sont de fait les ennemis de la République. Soit. Mais je crois très dangereux de réduire l’activité criminelle d’un individu à la seule appartenance à une idéologie. Il y a bien entendu au sein même du corpus musulman un courant qui encourage l’utilisation de la violence. Il était ultra minoritaire à l’origine et réalise aujourd’hui une percée au milieu des autres mouvements modérés clairement dépassés par le phénomène.

Je te conseille à ce titre le livre de Jean-François Gayraud, chercheur au CNRS « la théorie des hybrides ». C’est un ouvrage sérieux qui démontre comment le crime organisé a pris les habits de différentes idéologies à prétention planétaire. Il aide à comprendre pourquoi et comment les jeunes terroristes qui ont frappé la France depuis ces dernières années sont passés par la case prison et ont tous en commun d’avoir un passé de délinquant.

Donc oui : Zineb El Rhazoui est physiquement courageuse car elle s’expose en tenant des propos qui peuvent choquer et provoquer des réactions disproportionnées de la part d’individus clairement instables. Mais cette journaliste est "paresseuse" intellectuellement  et je pense qu’elle doit (elle comme d’autres) admettre que ces phénomènes de société sont d’une extrême complexité et qu’il faut faire preuve de pédagogie (je sais : la pédagogie ne fait jamais le buzz...) pour nous aider à faire reculer collectivement toute forme d’idées contraires à nos principes communs.

Nous pourrions en parler des heures... MF

Petit commentaire :

D'abord, quel plaisir d'échanger avec quelqu'un qui maîtrise son sujet, pèse chaque mot, non par coquetterie littéraire mais parce que les mots ont un sens. Ensuite, mon interlocuteur nous invite tous à la modération dans l'expression face à la complexité des choses, de leur histoire, de leur construction : parole de sage. Enfin, mon interrogation personnelle à l'issue de ce petit échange : comment faire partager au plus grand nombre cette complexité de notre monde, en sublimer la richesse incontestable et en expurger les violences immédiates ? Ce modeste blog n'y suffira pas. Puisse-t-il, si peu que ce soit, y contribuer. BL

Publié dans on en parle partout

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