A propos du sommet G5 Sahel de Pau
Avec Emmanuel Macron, le fond est souvent meilleur que la forme, l'intention louable mais l'expression maladroite. Je me fais souvent cette remarque depuis 2017. J'ai de nouveau pensé à ça en entendant le Président annoncer de manière impromptue en marge du meeting de l’OTAN la tenue d’un prochain sommet à Pau avec les chefs d’état du G5 Sahel, pour y faire le point sur l’intervention militaire française en Afrique de l’Ouest.
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Il faut d’abord rappeler que le G5 Sahel réunit le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ; ces pays ont en commun d’être confrontés à la montée du terrorisme, principalement djihadiste, auquel ces 5 pays, leurs armées et leurs populations paient un très lourd et sanglant tribut, dans une assez large indifférence du reste du monde, il faut bien le dire.
Depuis 1983 et l’intrusion libyenne au Tchad, les opérations militaires françaises de sécurisation de la région se sont succédé quasiment sans interruption sous des appellations différentes : «Manta», «Épervier», «Serval» et, dernière en date lancée en août 2014, «Barkhane» du nom donné aux dunes sahariennes en forme de croissant. Les forces françaises y ont subi de lourdes pertes en près de 40 ans. La mort récente de nos 13 soldats en opération héliportée au Mali a douloureusement marqué les esprits de ce côté-ci de la Méditerranée, au point de susciter en France des questions inédites sur le bien-fondé de cette présence militaire.
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Et c’est dans ce contexte que monte en Afrique de l’Ouest, notamment chez les plus jeunes générations, un discours clairement anti-français :
- La présence militaire française ? Elle ne serait là que pour préserver les intérêts économiques français dans la région.
- Le Franc CFA ? Une survivance néocoloniale insupportable imposée par Paris.
- La restitution des œuvres d’art engagée par Macron ? Trop peu, pas assez vite.
- L’aide française au développement ? Insuffisante.
- L’attribution de grands marchés à des entreprises françaises ? La preuve de la persistance de la «FrançàFric» comme on dit là-bas.
- Les soldats français morts au Sahel ? La conséquence directe de l’intervention française déstabilisatrice en Libye.
- Les restrictions de flux migratoires autorisés ? Un égoïsme oublieux du passé.
- La hausse des droits d’inscription des étudiants étrangers dans les facs françaises ? Une marque supplémentaire de mépris à l’égard des jeunesses africaines.
Chacun de ces reproches mériterait une réponse circonstanciée qui montrerait sans doute qu'on prête à la France plus d'importance et d'intérêts qu'elle n'en a vraiment...
Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que la quasi-convocation maladroite des Présidents africains à Pau (même s’ils ont été préalablement consultés) ait été perçue par beaucoup en Afrique comme une nouvelle preuve d’allégeance demandée par l’ancienne puissance coloniale à l’égard de ses affidés africains.
Cette perception est évidemment excessive, mais elle est là. Pire : elle n’est pas seulement portée par quelques militants actifs sur les réseaux sociaux ; elle est de plus en plus relayée par des acteurs africains publics et privés de premier plan. Elle l'est aussi, et c'est encore plus grave, dans l'habile récupération qu'en font les djihadistes avec un certain succès sur les réseaux sociaux ouest-africains.
Bref : il y a bien aujourd’hui une question sur la présence française, notamment militaire, en Afrique de l’Ouest.
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Il serait hypocrite de ne pas ajouter ceci : en s'en prenant à la France, beaucoup d'Africains, en réalité, s'en prennent à leurs propres dirigeants qu'ils jugent à tort ou à raison inefficaces, corrompus et vassalisés par Paris. Il est d'ailleurs paradoxal de voir la France ainsi pointée du doigt pour son interventionnisme et, dans le même temps, tenue pour responsable de choix 100% Africains. Responsable de tout, en somme, en tout cas du présent et de l'avenir au nom du passé.
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Bien sûr, l’histoire pèse lourdement dans cette montée des tensions anti-françaises en Afrique :
- Le commerce triangulaire d’abord, qui a saigné l’Afrique de ses forces vives et déchiré des familles, des cultures, des histoires, des économies, bien plus durablement et profondément qu'on ne veut le voir en France.
- La période coloniale ensuite, dont les Européens peinent à admettre publiquement qu’elle a été une terrible blessure africaine, ineffaçable, honteuse en vérité, qui a fait fi de civilisations séculaires et de populations qui ne demandaient rien d’autre que de poursuivre librement leurs chemins, hors de tout «modèle» européen.
- La fameuse «Françafrique» enfin, ces décennies post-coloniales durant lesquelles des affairistes français, publics et privés, ont continué joyeusement à profiter -pour ne pas dire piller- les richesses naturelles des anciennes colonies, sous le regard bienveillant et souvent intéressé de dirigeants en apprentissage du pouvoir.
Tout cela a existé et la France s’honorerait de le reconnaître plus clairement. Pas dans une énième autoflagellation mémorielle mais dans un regard lucide et partagé entre ces deux mondes qui ont, aussi, construit ensemble des choses merveilleuses.
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Il me semble qu'il y aurait quelque chose de très injuste et mortifère pour tous, Africains et Français, si ce passé, aussi lourd soit-il, devait résumer à lui seul le présent et l’avenir des relations entre la France et les peuples d’Afrique de l’Ouest. Et ça plus encore au moment où un jeune président français, né bien après la décolonisation et sans lien personnel avec cette période, prend des initiatives réelles et inédites pour restaurer un dialogue d’égal à égal, normal, entre la France et les Etats africains, sans faux-semblants, sans nous mentir, ni à nous-mêmes ni entre nous, quitte à être parfois maladroit.
On dit en Afrique que quand un arbre tombe, tout le monde l'entend mais que quand la forêt pousse, elle le fait sans bruit. S'il y a eu entre la France et l'Afrique de l'Ouest des chutes d'arbres retentissantes, la forêt de notre avenir commun, elle, pousse en silence : pour nos enfants plus encore que pour nous-mêmes, nous devrions nous en préoccuper davantage. Ce qui me préoccupe ici, c'est moins la critique éruptive de l'ingérence française supposée que la montée des indifférences et des égoïsmes, au nord comme au sud.