Du courage collectif pour 2019
Au seuil de cette nouvelle année, l'exaspération à l'égard des Gilets Jaunes gagne un peu partout. Il est vrai que les raisons ne manquent pas :
- les revendications originelles sur le coût des carburants n’ont plus de raisons d’être.
- avec la suppression de l’éco-taxe, le report de la CSG sur les retraites moyennes, la hausse de la prime d’activité, le Gouvernement, certes avec retard, a répondu aux revendications initiales, pour un coût estimé à plus de 10 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien.
- les représentants autoproclamés des Gilets Jaunes mis en lumière dans les médias s’avèrent être des personnages souvent sulfureux, influencés par des leaders d'opinion plus contestables encore, à l'image d'un Etienne Chouard, d'un Dieudonné ou de quelques autres qui ont fait profession d'attenter à notre modèle démocratique.
- les manifestations ont causé des dégâts importants dans les grandes villes, causés par des individus où se mêlent intimement parfois casseurs et GJ.
- la répétition des « actes » samedi après samedi a porté une atteinte lourde à l’économie même du pays, dans une période ordinairement propice à la consommation.
- la liberté de circuler tranquillement est régulièrement mise à mal selon les ronds-points où on se trouve et l’heure à laquelle on les emprunte.
- les GJ bloquent, ici la diffusion d'un journal de province pour un article qui aurait déplu (bonjour la liberté d'expression), là les camions d'un transporteur frigorifique à quelques jours de Noël (on se demande bien pourquoi).
- une dizaine de personnes ont trouvé la mort en marge de ce mouvement.
Vraiment, les raisons ne manquent pas de demander aux Gilets Jaunes de mettre un terme à leur mouvement et se désolidariser des plus radicaux qui seuls y demeurent. Pour autant, on aurait tort de penser qu'une fois le mouvement des GJ arrivé à son terme, les questions posées disparaitront naturellement : il faut les entendre et y répondre.
D’abord parce qu’une détresse, même honteusement récupérée et détournée de sa nature première, n’en demeure pas moins une détresse qui appelle prise en compte. L’impossibilité de s’en sortir même en travaillant, l'accumulation des difficultés économiques, sanitaires et sociales sur les mêmes personnes, l’absence de perspective d’amélioration pour soi comme pour ses enfants : tout ça constitue autant de motifs compréhensibles de révolte.
Idem pour notre système de représentation dans lequel une part grandissante de nos compatriotes ne se reconnait plus, comme en témoigne l’abstention, élection après élection. Je pense que les élus politiques, syndicaux ou associatifs sont moins responsables de cette désaffection qu'on ne veut bien le dire mais la crise est là, ravageuse.
La question de la citoyenneté se pose aujourd’hui en des termes différents d’hier : Internet est passé par là. En regardant agir les générations nouvelles, je me dis d'ailleurs que, même sans les Gilets Jaunes, la défiance légitime ou pas est si forte que la rupture serait apparue. Ca ne fait pas de moi un défenseur du référendum d'initiative citoyenne -loin de là- mais nos modes de fonctionnement sont interrogés depuis longtemps sans que rien ne bouge.
Pour toutes ces raisons, le Grand Débat lancé un peu en catastrophe par le Gouvernement peut ne pas être seulement un contre-feu : il peut être, je l’ai déjà dit ici, une formidable opportunité d’engager les réformes indispensables du fonctionnement de l’Etat et de l’ensemble des personnes publiques.
Quand un pays consacre plus d’argent chaque année à payer les seuls intérêts de sa dette qu’à financer l’éducation nationale, il n’y a aucune chance de voir les prélèvements obligatoires -et donc les impôts et taxes- baisser, ni voir le pouvoir d'achat progresser.
Au cœur des problématiques du moment, figure le déséquilibre de nos comptes publics. Aucun gouvernement n’a sérieusement pu se mobiliser sur cette cause tant elle est explosive ; le mouvement des Gilets jaunes est peut-être notre meilleure chance de nous attaquer enfin au fond des choses avant qu’une remontée des taux ou une nouvelle bulle financière ne nous y contraignent dans l'urgence et la douleur.
Quoi qu’en disent les slogans lancés depuis les ronds-points, les réponses à apporter aux attentes qui s’expriment sont complexes. S’il suffisait de ne pas remplacer la vaisselle ou la moquette de l’Elysée ou encore d'instaurer le référendum révocatoire pour résoudre les problèmes, ça se saurait... La vérité, c’est que la manière dont l'argent public est dépensé doit être revue, comptes sociaux (sécu et retraite), comptes locaux (collectivités locales) et comptes de l’Etat confondus : tous doivent contribuer à la désinflation des dépenses pour permettre, ensuite, une baisse des prélèvements obligatoires et de la dette.
Or, derrière chaque ligne de dépense, se cachent des questions douloureuses à trancher. Pire même : seul un large débat public peut permettre d'y répondre, pourvu que les contributions demandées répondent aux exigences minimales de clarté et de justice. Sans cette pédagogie, sans cette compréhension collective, sans ces efforts partagés, il n’y aura pas, j’en fais le pari, de sortie de crise durable pour notre pays, gilets jaunes ou pas.
Ce discours, beaucoup de ceux que je rencontre l’entendent, le comprennent et l’approuvent. Au-delà de leur situation personnelle immédiate, beaucoup de Français sont prêts à des efforts dès lors qu’ils auront la garantie d'un partage équitable entre tous et de l'utilité des efforts demandés. La tâche du gouvernement est immense ici et la route parsemée d’embûches tant la méfiance est présente. Mais l’absence d’alternative doit donner à chacun de nous le courage d’affronter nos chimères, dans l'unique souci d'un dépassement durable des défis qui se présentent à nous.
Ce sont donc des vœux de courage individuel et collectif que je formule pour nous tous à l’aube de cette nouvelle année.