A propos de Mila
« L’affaire Mila » met de manière singulière en évidence le triste état de notre société. Rappelons de quoi il s’agit : sur un réseau social, une adolescente de 16 ans exprime dans une vidéo son opposition à l’islam tel qu’elle le perçoit. Elle le fait avec la violence des mots que sa jeunesse et les réseaux sociaux emploient tous les jours. En retour, cette gamine subit une vague de haine, d'insultes et de menaces –de viol, de mort- telle qu’elle a dû renoncer à poursuivre sa scolarité, quitter son logement dont l’adresse a été rendue publique et vivre recluse, sous protection.
On peut penser ce qu’on veut des propos de Mila. Les trouver orduriers, choquants, excessifs. Mais rien –absolument rien- ne peut justifier qu’une telle expression puisse signifier en retour la mise hors la société de cette jeune fille. Il ne peut y avoir là de demi-mesure, de «oui, mais», de «elle l’a un peu cherché».
Dans notre pays, c’est la loi qui fixe les limites à ce qu’il est possible de dire ou pas. La loi et pas le tribunal populaire des réseaux sociaux ni la vindicte de tel ou tel groupe, religieux ou pas. Revenir sur ça, si peu que ce soit, ce serait abandonner une part de ce que nous sommes, ce serait céder aux pressions de ceux qui veulent nous soumettre à leur mode de pensée et de vie. Il ne peut y avoir d’autre réponse que la fermeté collective affichée sur nos principes républicains.
Un Coluche ou un Desproges pourraient-ils aujourd’hui encore rire et nous faire rire des mêmes sujets qu'il y a 30 ans ? Un Brassens pourrait-il toujours moquer ses contemporains ? Alors que, partout et dans toutes les époques, le droit d’expression n’a cessé de progresser jusqu’à présent, nous voilà devenus bien tolérants à l’égard de l’intolérance. Et cette intolérance tue.
Couardise ? Indifférence ? Petits calculs ? Nous nous sommes habitués à ce que tel journaliste, caricaturiste, artiste, avocat, élu ou intellectuel –et désormais adolescente- ne puissent plus se déplacer sur notre sol sans être accompagné d’une garde rapprochée. La liste ne cesse de s’allonger de celles et ceux qui, au pays de Voltaire, ont dû sacrifier leur liberté de mouvement pour préserver leur liberté d’expression : parler et se terrer ou se taire et jouir de la vie : insupportable, inacceptable dilemme.
Comment ne pas repenser à ce terrible texte du Pasteur Martin Niemöller ?
Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit : je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit : je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit : je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques, j’ai rien dit : je n’étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher.
Et il ne restait plus personne pour dire quelque chose.