Ubuntu
Je lis actuellement "l'Histoire mondiale du bonheur" : une soixantaine de penseurs et scientifiques y évoquent la diversité mais aussi l'universalité de la quête du bonheur chez l'homme à travers les siècles et les continents. C'est une lecture un peu contracyclique en ce moment mais très rafraichissante.
Elle me permet d'échapper aux jugements péremptoires et aux procès comminatoires, aussi exaspérants qu'inutiles, qui fleurissent partout sur les réseaux sociaux et dans les médias, à propos de la manière dont chaque pays et le monde entier luttent contre le Coronavirus. A en croire ces contempteurs digitalo-médiatiques, nos dirigeants auraient ouvert un concours international d'inepties et d'incapacité. Bien sûr, pas un de ces commentateurs ne s'est livré un jour à l'exercice du pouvoir en pareilles circonstances...
Revenant à ce livre passionnant, j'y ai découvert l'ubuntu que Souleymane Bachir Diagne, philosophe sénégalais enseignant à l'Université Columbia, traduit par "faire humanité ensemble". L'ubuntu, pour le dire d'un mot, c'est l'idée qu'être humain n'est pas un état naturel spontané mais une tâche qui ne prend son sens (sa force, dirait Senghor) que sous réserve de réciprocité. L'ubuntu, c'est comprendre que je ne peux devenir meilleur et plus heureux que si l'autre devient, lui aussi, meilleur et plus heureux et que j'y contribue.
L'ubuntu qui signifie littéralement "humain" dans les langues d'Afrique australe a été érigé en philosophie politique par Nelson Mandela et Desmond Tutu au sortir de l’apartheid en Afrique du Sud, lorsqu'ils ont fait le choix de rebâtir une nation arc-en-ciel plutôt que d'enfermer le pays dans une lecture revancharde de son passé sanglant entre Afrikaners et Sud Africains noirs. Quelques années plus tard, le Rwanda, dans un contexte différent, a fait un choix similaire d'une improbable et spectaculaire réconciliation entre Hutus et Tutsis après le génocide de 1994.
Ces deux histoires témoignent de la force de l'ubuntu, qui dépasse l'instinct immédiat de l'appartenance à sa tribu, sa famille, son village, sa culture pour construire une humanité commune future au bénéfice de chacun. L'ubuntu, c'est le contraire de la rancœur égotiste au plan individuel et des ethno-nationalismes au plan politique.
Je ne crois pas que le Covid19 qui met à bas partout dans le monde nos certitudes, nos connaissances, nos convictions et, sinon notre avenir, du moins nos projets immédiats, suffira à engendrer de manière mécanique le changement radical de nos organisations et de nos modes de vie que certains prophétisent aujourd'hui lyriquement.
Je crois en revanche beaucoup -si les citoyens le décident- à la force réformatrice d'une action collective qui s'appuierait sur le sens profond de l'ubuntu : je ne suis que parce que nous sommes.
Pour en savoir davantage sur l'ubuntu, on pourra écouter, avec bonheur, cette conférence de Bachir Diagne devant l'université de Nantes (2016)