1984

Publié le par Bernard LUSSET

Quand George Orwell publie à la fin de la guerre son fameux roman "1984", il décrit une société terrifiante devenue synonyme de surveillance liberticide. A l'époque et depuis, "1984" a été montré comme l'exemple du parfait contraire de nos aspirations individuelles et collectives à la liberté.

Je ne peux m'empêcher de repenser à ce livre en assistant au spectacle de notre quotidien. Pas de "Ministère de la vérité" en 2020 mais peut-être pire encore : partout des procureurs autoproclamés qui, smartphone en main, filment, publient, commentent, accusent sans qu'à aucun moment ne soient garantis ni la charge de la preuve ni les droits de la défense. Officiellement, c'est toujours la "Justice" qui est chargée de ça ; mais elle le fait selon des procédures et des calendriers tels que son verdict final, des années plus tard, sera reçu dans l'indifférence générale.

Seule compte donc la transparence immédiate, mise à toutes les sauces y compris celles des manipulations et des récupérations les plus indignes. On l'a déjà dit ici : la recherche de la viralité a remplacé celle de la vérité et même celle du simple débat d'idées. A ce jeu, nous sommes tous en train de devenir dingues, mélangeant tout, confondant tout, oubliant tout, méconnaissant tout. Pas un sujet qui n'y échappe. C'est tellement vrai que les media traditionnels eux-mêmes, soumis à cette course infernale à l'échalote, multiplient désormais les fact-checking pour tenter de lutter contre les chapelets de mensonges, de manipulations et de fake news qui font notre quotidien. Ce travail est louable mais d'une piètre efficacité : une vidéo en chasse une autre, un mensonge est remplacé par son suivant, une manipulation cède sa place à une autre. Le combat est perdu d'avance par ce rythme effréné où, de toutes façons, la plupart se foutent à la fois de la vérité et du sens à donner à tout ça.

Dernier exemple en date qui m'a fait sursauter, parmi mille autres je le reconnais : la recup' assez choquante du candidat écolo parisien Belliard publiée hier sur Twitter (voir ci-contre).

Tout est choquant dans cette photo.

D'abord qu'un élu, par la sympathie qu'il manifeste à la famille, tranche ainsi l'affaire Adama Traoré sur laquelle, pourtant, des interrogations subsistent que la procédure judiciaire en cours tranchera un jour.

Choquant parce que le pedigree judiciaire de cette famille, lui aussi mis sur la place publique, s'il ne la prive certes pas de tous ses droits à défendre ses intérêts, inclinerait à une certaine circonspection au regard des déclarations tapageuses et violentes qu'elle propage.

Choquant et même sordide le timing de ce tweet, au moment où la mort de George Floyd suscite une légitime émotion mais surtout à quelques jours du second tour de l'élection municipale à Paris.

Evidemment, pareille publication suscite un torrent de réactions outrées, dont beaucoup sont aussi excessives et choquantes que la photo initiale. Et voilà comment on remet une pièce dans la machine à buzz, comment on contribue à faire monter la violence, à exacerber les tensions communautaires, bref à s'éloigner de toute solution durable et pire encore, de toute prise en compte des questions de fond. Or, il y a dans l'expression de cette jeunesse qui manifeste des cris de colère, des appels à l'aide, des souffrances ignorées, des plaies anciennes jamais refermées qui ne justifient certes pas les violences et les appels à la haine mais mériteraient d'être entendus, compris et qu'il y soit collectivement répondu.

Qu'importe : David Belliard conservera vraisemblablement son marocain municipal le 28 juin. Nul doute qu'en publiant cette photo, le candidat écolo ne pensait qu'à ça, qu'à lui, qu'à son parcours. Et d'une certaine manière, on l'espère pour lui... Et pour remettre un peu de dignité sur ce sujet, je vous invite à écouter ce court extrait de l'intervention d'Ursula Vonderleyen, la Présidente de la Commission européenne, devant le Parlement européen ce jour, au sujet de ces manifestations : ça vous éloignera de Belliard mais vous réconciliera, je le crois, avec la Politique.

quelques phrases en anglais puis tout en français (montez le son)

Publié dans on en parle partout

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