A propos de la Convention Citoyenne pour le Climat
En réponse au mouvement des Gilets Jaunes, Emmanuel Macron a voulu donner à des citoyens tirés au sort un pouvoir d’impulsion dans le domaine de la lutte contre le dérèglement climatique. Ainsi est née la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) dont les membres remettront en début de semaine leurs recommandations au chef de l'Etat. Cette nouveauté s'inscrit dans un mouvement de fond visant à associer les citoyens aux prises de décisions qui les concernent. La campagne des municipales 2020 l'a montré avec son florilège de propositions : conseils citoyens, commissions extra-municipales, conseils de quartier, promesses de consultations en tous genres, de référendums locaux, etc...
En opposition à l'air du temps, j’éprouve de vraies réticences à l’égard de cet engouement participatif, même si j’en comprends le cheminement.
La fin des politiques ?
Nous ne travaillons plus, nous n’achetons plus, nous ne communiquons plus, nous ne concevons plus nos vies comme le faisaient nos parents et grands-parents : il n’est donc pas anormal que la manière de gérer les affaires publiques, elle aussi, tienne compte des évolutions de la société. Dans le climat général de défiance à l’égard de toute autorité, on comprend donc que les élus cherchent à refonder démocratiquement leurs décisions.
Mais qu’ils soient élus eux-mêmes -comme c’est le cas des Conseillers de quartier à Agen- désignés ou encore tirés au sort comme dans la CCC, la citoyenneté des Français ainsi sollicités ne saurait suffire à établir leur légitimité.
Je vais prendre un exemple : la CCC préconise le passage à 110 km/h sur les autoroutes. Je conteste cette doxa exagérément punitive à l’égard des automobilistes : de 60 à 50 puis maintenant 30 km/h dans de nombreux centres urbains, la vitesse limite en ville est maintenant envisagée à 20 km/h. Comme si la situation à Agen, Montluçon ou Cambrai était de même nature que celle de Paris, Bordeaux ou Marseille : à quand le retour des charrettes à bras ?
Les automobilistes se sont vus imposer par ailleurs un passage généralisé à 80 km/h sur les routes. Sous la contrainte, le gouvernement a fait mine d'accepter que des tronçons puissent être remis à 90 km/h si les élus départementaux le décident. Peu osent le faire compte-tenu du cahier des charges ridicule qui leur est imposé et de l'odieux discours du lobby anti-bagnole qui les fait passer pour rien moins que des criminels inconscients.
L'argument sécurité routière s'épuisant, la préservation de la planète est devenu le nouveau mot d'ordre dans lequel on a habilement suggéré aux citoyens de la CCC d'y inclure la réduction de vitesse sur les autoroutes, au plus grand bénéfice des radars qui vont y trouver une rentabilité nouvelle, à défaut que les émissions de GES s'en trouvent significativement réduites.
Je ne crois pas que l'origine citoyenne d'une telle décision suffira à la faire accepter ; un sondage publié hier montre que 75% des Français s'opposent à une telle mesure. D'autant que les modalités de constitution et de travail de la CCC suscitent des questions légitimes : le résultat du tirage au sort est-il pertinent ? En quoi reflète-t-il la complexité des réalités françaises ? Comment la pluralité des opinions a-t-elle pu s’exprimer devant cette instance ? Etc...
Les suggestions de la CCC : certificat de vérité et d'intelligence ?
Il faudrait ajouter que les politiques élus offrent une garantie que ne présente pas la CCC : la responsabilité. On va pendant longtemps nous présenter les suggestions de cette convention comme un certificat de vérité et d’intelligence. Mais qui assumera demain les conséquences de ces choix ? La démocratie participative rimerait-elle avec impunité et irresponsabilité ? Voulons-nous vraiment d’une telle démocratie qui signerait la fin des politiques ?
La fin du jacobinisme ?
Ce qui, me semble-t-il, fragilise la parole et la décision politique aux yeux des citoyens, c’est moins la contestation gauloise des responsables politiques que les conséquences du jacobinisme insensé qui prévaut en France et pour lequel, hélas, il n'est prévu nulle convention citoyenne, alors qu'il y aurait matière :
- Dans la crise du Covid, non seulement Paris a décidé de tout mais les décisions ont été appliquées urbi et orbi, sans prise en compte des réalités locales. Il a fallu attendre le déconfinement pour qu’elles apparaissent enfin avec un zonage régional assez grossier.
- 60 pages d'instruction venues de Paris pour dire comment il fallait rouvrir les écoles : cette débauche administrative a-t-elle eu le mérite de rassurer parents, élus et enseignants et faire revenir les enfants dans les classes ? Même pas.
- Le grand public a découvert les Agences Régionales de Santé, des monstres bureaucratiques où le respect du texte à la virgule supplante toute intelligence situationnelle. Belle occasion de montrer que le jacobinisme régional est aussi inefficace et paralysant que celui de la capitale.
- Dans un autre domaine, la question du lac de Caussade méritait-t-elle vraiment un arbitrage national au seul motif que France Nature Environnement a levé un sourcil ? Quand la société civile montre ses obsessions et ses connivences.
- Parmi bien d'autres, un dernier exemple, courtelinesque, avec l'interdiction de ré-ouverture post-Covid du Parc de Passeligne à Agen. La Préfecture y voyait un lieu de baignade, pourtant interdite depuis toujours ! Il a fallu des coups de fil et des papiers -toujours des papiers- pour éviter in extremis ce zèle administratif intempestif.
Le respect de la lettre de la procédure et le souci de couvrir sa responsabilité future éventuelle ont remplacé la gestion du problème lui-même. (...) La loi et la règle, créées pour encadrer, permettre et promouvoir deviennent d'excellentes raisons pour ne pas faire.
Les exemples sont légions et dans tous les domaines : respecter à la lettre les procédures et couvrir son éventuelle responsabilité future ont remplacé le souci de gérer le problème lui-même chez ceux qui nous dirigent. Comment s’étonner que les citoyens, aux prises avec un quotidien plus prosaïque se désespèrent et se détournent ?
Quand il est local, l'élu n’a guère de moyen d’action, sous la férule d’une administration centrale aussi couarde que tatillonne ; devenu Ministre, même avec quelques bonnes intentions, le même élu voit s'ériger autour de lui des murailles règlementaires quasi-infranchissables : la loi et la règle, créées pour encadrer, permettre et promouvoir, deviennent d'excellentes raisons pour ne pas faire.
Pour ne pas être taxé d'anti-Parisianisme à deux sous ou d'un liberto-libéralisme qui me sont tous les deux étrangers, je complète mon propos en disant deux choses :
D'abord que le monde est complexe et la gestion des affaires publiques aussi. Beaucoup d'idées simples, évidentes et populaires ont des conséquences qu'on ne voit pas toujours : mon modeste parcours d'élu local m'a enseigné ça. Je me tiens donc à distance des "Y'a qu'à, faut qu'on" démagogiques.
Ensuite que l'échelon local n'est à l'abri de rien et ajoute parfois sa couche au mille-feuilles règlementaire. Utiliser sa proximité du terrain pour faire et permettre qu'on fasse : c'est un combat de tous les jours, tant les citoyens se tournent toujours vers la puissance publique quand quelque chose ne va pas.
Mais voilà qu'au moment où l'exigence d'une décision publique plus réactive s'exprime partout, on se met en tête d'ajouter une strate, participative, de plus. C'est sans doute une des plus mauvaises réponses possibles à une excellente question : libérer la décision locale me semblerait infiniment plus judicieux et efficace.