La Côte d'Ivoire (de nouveau) vers l'abime ?
Les nominés sont... Mamadou Kone, Président du Conseil Constitutionnel ivoirien, a proclamé lundi 14 septembre la liste des 4 candidats qui, parmi les 44 prétendants, allaient être autorisés à participer à l'élection présidentielle du 31 octobre prochain en Côte d'Ivoire : le Président sortant Alassane Ouattara (RHDP), Henri Konan Bédié (PDCI-RDA), un candidat dissident du même parti Kouadio Konan Bertin et Pascal Affi Ngessan (FPI). (Chris Yapi avait donc vu juste !)
Dura lex ? Le juge constitutionnel ivoirien s'est-il seulement appuyé sur des considérations de droit pour effectuer cette sélection ? Personne n'y croit vraiment : chacun a compris à l'énoncé du délibéré que le Conseil aurait pu, tout aussi bien, délivrer des décisions tout-à-fait différentes sans que le droit ivoirien n'en eut été sauvagement bousculé :
- On n'a ainsi pas été émerveillé par la puissance juridique de la décision déclarant constitutionnel l'éventuel 3ème mandat d'Alassane Ouattara, alors que la Constitution limite les mandats à deux.
- L'imbroglio autour de la date effective de démission d'Henri Konan Bédié du Conseil constitutionnel n'a pas, non plus, semblé des plus clairs.
- L'éviction du candidat du parti LIDER, Mamadou Koulibaly, serait justifiée par l'(improbable) erreur du candidat dans la répartition de ses parrainages entre 17 régions et ce, malgré le dépôt de parrainages complémentaires ? On peine à le croire.
- A l'inverse, nombre d'Ivoiriens s'interrogent sur l'efficacité inédite avec laquelle Kouadio Konan Bertin, dissident du PDCI-RDA de Bédié, a pu rassembler lesdits parrainages dans les conditions légales requises.
Indépendance du Conseil ? Il y a 10 ans, le Conseil constitutionnel ivoirien s'était déjà illustré par sa servilité à l'égard du pouvoir en place. A l'époque, c'est Ouattara dans l'opposition qui en avait fait les frais : rien n'aurait donc changé depuis ? Il faut dire que ces derniers mois les règles du jeu démocratique sont de plus en plus mises à mal, les incarcérations ou mises à l'écart d'opposants se multiplient, des milices vengeresses semblent étrangement tolérées par le pouvoir. Autant de faits qui font planer de sérieux doutes sur l'indépendance du Conseil constitutionnel ivoirien. Or, comment faire vivre une démocratie quand, les autorités suprêmes abdiquant leur indépendance, elles perdent aussi le respect populaire qui, seul, leur confère leur autorité ?
CADHP. Comme si cela ne suffisait pas, voilà que la Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, équivalent continental de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, ordonne pour la deuxième fois à la Côte d’Ivoire de suspendre la condamnation judiciaire d'un autre candidat évincé la veille par le Conseil constitutionnel, Guillaume Soro, et de « prendre toutes les mesures nécessaires en vue de lever immédiatement tous les obstacles empêchant Guillaume Soro de jouir de ses droits d’élire et d’être élu ». Le gouvernement ivoirien a déjà indiqué qu'il n'en tiendrait aucun compte...
Désobéissance civile. Rassemblés autour d'Henri Konan Bédié, les principaux partis d'opposition ont lancé un appel à la "désobéissance civile" tant qu'Alassane Ouattara ne renoncerait pas à sa candidature, que ne serait pas prononcée la dissolution du Conseil constitutionnel et de la Commission Electorale Indépendante, que ne seraient pas libérés les prisonniers politiques et que les leaders maintenus en exil (Gbagbo et Soro) ne seraient pas rapatriés. Pour mémoire, en février 2010, c'est Alassane Ouattara qui lançait le même appel à la "désobéissance civile".
Un scénario à la Malienne ? Lorsque les instances suprêmes perdent leur crédibilité, qui peut incarner l’intérêt supérieur du pays ? Les regards se tournent vers l’armée ivoirienne aux prises avec les risques sécuritaires près des frontières burkinabé et malienne. La grande muette demeurera-t-elle longtemps silencieuse et impassible face au délitement de l’Etat, au moment où la CEDEAO semble imposer à la junte malienne une restitution immédiate du pouvoir aux civils ?
Vers l'abime ? Dans ce contexte, plus personne n'imagine que l'élection présidentielle puisse avoir lieu le 31 octobre. On ne voit pas davantage Ouattara passer en force quand la question du 3ème mandat, au-delà de tout débat juridico-constitutionnel, est devenue si épidermique dans les opinions publiques ouest-africaines. Les appels à un report de l'élection se multiplient donc alors que les fantômes des douloureuses années 2010 ressurgissent. Il n'est pas exagéré de penser que, sans une action énergique de la CEDEAO en faveur du retour d'un processus électoral inclusif et transparent, la Côte d'Ivoire se précipite (de nouveau) tout droit vers l'abime.