A propos de Zemmour
Eric Zemmour, anodin pamphlétaire avide de buzz médiatique ? Non : en affirmant que "Les jeunes issus de l'immigration (...) sont tous des voleurs, ils sont tous des assassins, ils sont tous des violeurs", Eric Zemmour se fait une nouvelle fois le promoteur d'un projet politique xénophobe. Et c'est en tant que tel qu'il faut y répondre.
Inutile d'invoquer des arguments d'ordre éthiques que, pourtant, je partage : ce genre de digue morale s'est rompue dans l'opinion depuis belle lurette. Inutile aussi de faire le procès de CNews qui lui ouvre ses antennes : Zemmour irait, avec le statut de victime du système en plus, débiter ses sornettes chez Russia Today ou Sputnik, et ses aficionados suivraient.
Zemmour surfe sur l'abandon et le déclassement que beaucoup de Français ressentent profondément ; il le fait en désignant un bouc-émissaire : les étrangers. Qui est l'étranger pour Zemmour ? Suffit-il d'être porteur de la nationalité française pour être admis dans son monde ? Non : avec Zemmour, c'est le retour du délit de sale gueule, du procès au faciès. Un peu bronzé ? Les cheveux crépus ? Un foulard sur la tête ? Des parents ou grands-parents nés ailleurs ? Une casquette de travers ? Ouste ! Dehors aussi les musulmans ! On les envoie où ? Pendant combien de générations est-on, chez Zemmour, issu de l'immigration ? A partir de quel âge cesse-t-on d'être jeune ? Peu importe. Dehors !
Pas un régime au monde ne fait ça, même les pires. Je ne parle pas des innombrables textes nationaux et internationaux qui rendraient la chose impossible. Inlassablement, Zemmour et ses amis invitent les Français à renoncer à ce qui nous est le plus cher : cette démocratie que nous critiquons beaucoup, oubliant à quel point elle nous manquerait si les théories Zemmour nous en privaient. Qui a envie de léguer une telle société de l'arbitraire à ses enfants ? En regard de ce fanatisme nationaliste, on voit monter, à égalité de violence et d'aveuglement, une autre forme d'activisme jusqu'au-boutiste dans la gauche dite radicale : l'un ne vaut pas mieux que l'autre. Pire : l'un se nourrit de l'autre et réciproquement, le but ultime commun des deux étant de mettre à bas notre édifice démocratique.
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Mais combattre seulement la nostalgie nauséabonde et absurde de Zemmour ne suffit pas ; ce serait nier que le ciment des valeur républicaines s'est fendu. Or, il s'est singulièrement fendu ces dernières décennies. Entre les bons sentiments germanopratins et les idéologies libertaires, le discours politique, à droite comme à gauche, s'est trop longtemps payé de grands mots. S'est instauré un politiquement correct qui interdit même de seulement évoquer les difficultés constatées dans l'intégration des étrangers et de leur descendance. Du coup, on a laissé ce champ lexical-là aux plus affolés des deux camps.
Or, il n'est pas seulement questions de mots. Nous avons laissé se constituer dans nos villes des poches de pauvreté où les modes de vie ne sont plus dictés par nos lois mais par une lecture radicalisée d'un islam politique qui entend primer sur toutes les autres règles. La République a abandonné le terrain, au désespoir des habitants, au premier rang desquels les musulmans républicains eux-mêmes, traitant seulement les accès de fièvre à coups de subventions, de pots de peinture et de quelques descentes ponctuelles de police.
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Surfant sur cet abandon, réel, Zemmour et ses amis, font croire que les solutions les plus radicales et les plus simplistes seraient aussi les plus efficaces et les plus rapides. Foutaises, bien sûr, mais elles lancent un redoutable défi à la société française : est-elle capable -sommes-nous capables- d'ouvrir les yeux et d'enclencher un processus d'intégration républicaine qui soit à la fois lucide et de notre temps, ouvert et exigeant sur le respect de nos valeurs ? Ou bien reprenons-nous à notre compte les mêmes propos haineux que ceux entendus lors de leur arrivée en Lot-et-Garonne par les Italiens, les Espagnols puis les Pieds-Noirs et les Harkis ?
La vindicte, le rejet de l'autre, le repli nostalgique et nauséabond sur soi, la guerre civile en somme : voilà le programme de Zemmour. Quel est celui de la République et de ceux qui la soutiennent ? Les protestations scandalisées, seules, ne suffisent plus.
On nous annonce un plan contre les "séparatismes" : il est temps.