Déjouer le piège fondamentaliste
L'horrible assassinat de Samuel Paty a fait monter d'un cran l'émotion ressentie en France face au fondamentalisme islamiste : comment pouvait-il en être autrement ? Ce faisant, cette indispensable réaction de défense collective de nos valeurs suscite en écho l'incrédulité scandalisée de nombreux musulmans dans le monde, leur sincérité étant habilement instrumentalisée par les tenants d'un islam dominateur.
Le but recherché est ainsi atteint : la société française s'interroge sur la pertinence de ses valeurs de liberté, elle se déchire à coups d'accusations d'islamophobie et les fondamentalistes se trouvent renforcés dans leur rôle de protecteurs des musulmans ainsi agressés. Le terrible piège se referme et, d'une certaine manière, les fondamentalistes ont gagné la bataille en donnant au débat franco-français une dimension universelle.
A tort, car c'est bien d'un débat franco-français dont il s'agit : nul ne cherche en France à imposer aux autres pays notre mode de vie, nos coutumes et nos lois. Je conçois d'ailleurs parfaitement que nos mœurs puissent choquer une partie de l'opinion à l'étranger. Erdogan en une de Charlie (ci-contre) s'étrangle, preuve qu'il n'est guère habitué à ce genre de traitement. Nous oui.
Mais il nous arrive à nous aussi d'être choqués du traitement réservé dans certains pays par exemple aux femmes, aux homosexuels ou aux "infidèles". Mais, quoi que nous en pensions, nous n'accusons pas les dirigeants d'être des malades mentaux parce qu'ils soumettent, au nom de leur religion, la femme à la domination de l'homme ou emprisonnent les auteurs "d'actes contre nature" comme ils disent.
Nous n'incitons pas davantage aux actions terroristes : chaque société est libre de déterminer sa propre route n'est-ce pas ? Et bien qu'on nous laisse déterminer la nôtre, en y soumettant tous ceux, français ou non, qui en résidant sur notre territoire, s'engagent à en respecter les règles. C'est notre affaire et ce n'est ni celle des Turcs, ni celle des Pakistanais ou des Iraniens. C'est notre affaire.
D'ailleurs, si les protestations orchestrées contre la France avaient vraiment pour cible la défense des musulmans dans le monde, comment comprendre le silence terrible des fondamentalistes face au sort réservé aux malheureux Ouïgours, ces musulmans chinois internés et torturés, promis à l'extermination par le gouvernement chinois lui-même ?
Pourquoi les "défenseurs de l'islam" qui appellent au boycott universel contre la France se taisent ? Pourquoi Erdogan ne s'interroge-t-il pas publiquement sur la santé mentale de Xi Jinping le Président chinois, comme il l'a fait si subtilement à l'encontre d'Emmanuel Macron ? Les 25 millions de Ouïgours martyrisés sont-ils moins importants qu'un dessin publié dans un journal français qu'au fond, bien peu de gens lisent ?
Les fondamentalistes, qu'il s'agisse des terroristes ou des fanatiques manipulés, mènent en réalité un combat politique où la religion n'est qu'un prétexte. Toute naïveté à ce sujet serait coupable et je me désespère de voir certains responsables politiques ou intellectuels français parmi les plus polémistes, à droite et à gauche, tenter de récupérer quelques dividendes électoraux dans cette bataille qui s'engage : ce n'est digne ni des convictions qu'ils défendent, ni du pays et du peuple qu'ils entendent servir.
C'est aussi placer l'immense majorité des musulmans de France respectueux des lois de la République, au cœur d'une polémique dont ils se passeraient bien. Les quelques voix courageuses qui s'élèvent parmi les imams de France soulignent d'ailleurs combien l'islam ainsi professé dans les arrières-cours est éloigné des préceptes originaux.
C'est pourquoi la société française, dans sa diversité, ne doit pas disperser ses forces dans cette guerre qui continue : paix aux musulmans de France respectueux, quoi qu'ils en pensent, des lois et valeurs françaises et fermeté durable face à tous les autres sur notre territoire qui peuvent, librement, décider de rejoindre des pays où les règles de vie collective seront plus en phase avec leurs convictions : bon vent. Quant aux pourfendeurs venus de l'étranger, qu'ils s'occupent donc de leurs affaires...