Après Trump

Publié le par Bernard LUSSET

Entre les inconditionnels de Donald Trump et les exaspérés de la présidence sortante, le débat électoral américain a fait rage bien au-delà des frontières US. Dans les derniers jours et jusqu'à aujourd'hui encore, nous avons droit à un feuilleton haletant digne de "West Wing".

Bien sûr, Donald Trump va quitter la Maison Blanche. Il ne le fera ni tout de suite ni de bonne grâce : dans son imaginaire d'enfant gâté, Trump ne peut pas perdre. Il va donc tout faire pour écrire un récit dans lequel on lui aura volé l'élection : son honneur -ou plutôt l'image qu'il s'en fait- sera sauf. Cette affaire va ainsi sans doute durer jusqu'aux limites constitutionnelles, c'est-à-dire presque un mois encore. Trump va faire une sortie à l'image de ce qu'aura été sa présidence : non conventionnelle.

Ceci dit, un constat et deux questions majeures nous concernent :

1. L'Amérique telle qu'elle ressort de ce scrutin

Participation record. On estime que près de 158 millions d'Américains ont voté, soit 66 % du corps électoral : 20 millions de plus qu'en 2016. Impact du Covid19 sur les votes anticipés ? Mobilisation des anti-Trump ? Enthousiasme des supporters du Président sortant ? L'élection a mobilisé à un niveau jamais atteint depuis 1900 : c'est une bonne nouvelle pour la démocratie américaine.

Une Amérique plus divisée que jamais. Les Etats-Unis ont montré le visage d'un pays profondément divisé, mettant en opposition des engagements de plus en plus radicaux. Il serait injuste d'en attribuer la responsabilité à Trump, mais il est clair que ses outrances infantiles ont amplifié cette tendance de fond. A l'image ci-contre de ces militants tentant d'empêcher le dépouillement des votes : quel symbole glaçant pour la démocratie électorale.

Des lignes de fractures inattendues.  Cette élection a déjoué bien des pronostics. Le petit monde washingtonien s'est, une fois encore, bien trompé sur les ressorts électoraux de Trump. Les discours essentialisants en ont pris un sacré coup comme l'idée simpliste selon laquelle les communautés les plus déshéritées allaient forcément voter démocrate. Ces schémas sont d'un autre âge et chacun ferait bien de s'en souvenir, en France comme aux Etats-Unis.

2. Le départ de Trump marque-t-il la fin du Trumpisme ?

Trump n'aura été que le révélateur des tensions de la société américaine. Ses outrances d'enfant gâté à qui rien ne devrait résister, pas même les lois en vigueur, son absence totale de sur-moi, son rapport très particulier avec la vérité ont tout au plus érigé le culot en mode de gouvernement.

Qu'importe que cette politique des coups de menton ait finalement engendré plus de reniements ultérieurs que de résultats probants : cette tentation-là, qui pré-existait à Trump, ne disparaitra pas avec son départ. En 2016, des électeurs avaient pu se laisser séduire sans savoir ; en 2020, ils ont été 4 millions de plus à le soutenir en sachant à quoi s'en tenir.

Conscient du danger et avant même que le résultat final de l'élection ne soit connu, les premiers mots de Biden ont été pour s'ériger en rassembleur et promettre d'essayer de renouer les fils de la nation américaine : il va avoir du travail face à la radicalisation de la pensée et des comportements, désormais solidement ancrée après avoir été, quatre années durant, vivement encouragée au plus haut sommet de l'Etat, jusqu'aux derniers jours du mandat.

3. Le Trumpisme, spécificité américaine ?

Nous avons, nous aussi, notre "petit monde washingtonien" en France, pas seulement à Paris. Il a les mêmes certitudes, les mêmes codes, les mêmes pratiques et les mêmes aveuglements qu'aux Etats-Unis. Et, comme outre-Atlantique, il suscite en réaction ce que j'appelais ici il y a plus de 4 ans la "mortelle tentation de la radicalité". Si nous n'y prenons garde, nous aurons nous aussi un jour à la tête du pays notre Trump, notre Bolsonaro ou notre Viktor Orbàn.

Les Q pensent qu'Hillary Cliton mange des enfants !

Ce n'est pas un hasard ; on constate aussi la montée chez nous des complotismes. Nous n'en sommes pas encore à penser que Macron mange des petits enfants pour obtenir la vie éternelle (...!) mais, au rythme où nous sommes partis, les Qanon pourraient bien débarquer chez nous. Sans doute même y sont-ils déjà implantés.

Le sentiment de déclassement, le désenchantement devant l'impuissance de l'action publique et l'angoisse des lendemains font monter chez nous aussi un vent de révolte dont les Gilets Jaunes n'ont été qu'un révélateur. La pandémie Covid-19, anxiogène à souhait, renforcera ces sentiments à coup sûr. Derrière la crise sanitaire et la crise économique, se profile donc une crise politique d'ampleur qui nécessitera un sursaut civique. Sans quoi...

Publié dans on en parle partout

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