La démocratie est-t-elle une valeur d'avenir ?
Les images du Capitole pris d'assaut par des manifestants chauffés à blanc par Trump ont fait le tour du monde. Elles ont suscité partout l'indignation et la stupeur mais aussi la crainte. Car ce qui s'est passé n'est ni un épiphénomène ni une particularité américaine : partout dans le monde se conjuguent une remise en cause des faits et un procès en faiblesse contre la démocratie qui font s'inquiéter sur le devenir de nos modes de gouvernement.
Remise en cause des faits. Trump qui prétend que l'élection présidentielle lui a été volée. Xi Jinping qui conteste la réalité du virus qui, depuis Wuhan, déferle sur le monde. Erdogan qui habille ses visées impérialistes d'un combat pour la liberté. Des présidents africains qui contournent les règles constitutionnelles pour se maintenir au pouvoir. Nicolas Maduro qui affame son peuple au Vénézuéla. Son homologue brézilien Bolsonaro qui nie la réalité de la pandémie et précipite son pays vers le gouffre. Et tant d'autres dirigeants qui s'affranchissent de la réalité des faits.
Mensonges et raccourcis. Les opinions publiques leur emboitent le pas : l'incrédulité puis le complotisme gagnent partout, mettant au même niveau un tweet et une étude scientifique, un slogan et une politique publique, tout cela propagé à la vitesse des réseaux sociaux dans le monde entier. Tout y passe : il n'y a plus de vérité historique, scientifique ou politique. Ou, plus exactement, il n'y a plus de place pour les vérités complexes quel que soit le sujet : pour être acceptée, la réponse à un problème doit pouvoir être présentée dans l'instant, exposée en quelques mots et de façon binaire, oui ou non. En-dehors de cela, il n'y a plus de vérité acceptée.
Procès en faiblesse de la démocratie. Evidemment, ce déferlement vient saper les bases mêmes du Contrat social c'est-à-dire ce qui fonde nos systèmes démocratiques, notre manière de vivre ensemble, de faire face collectivement aux difficultés qui se présentent, notre conception même du progrès humain. Car nos processus contradictoires et itératifs de prise de décision collective, longs et complexes, se trouvent démunis face aux mensonges et aux raccourcis. La démocratie au sens où on l'entend, c'est-à-dire un système dans lequel le peuple dans son entier choisit librement par son vote ses représentants et leur confie la gestion des affaires publiques, ce système est partout en danger.
Changer de modèle ? C'est tellement vrai que des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour réfléchir à des modèles de substitution. Parmi de très nombreux textes, je choisis celui qu'Alain Foka vient de publier dans le premier numéro de "Chemins d'Afrique", nouveau magazine qu'on pourra lire intégralement ici (lecture vivement conseillée). Alain Foka, journaliste camerounais œuvrant notamment à RFI, est peu suspect d'être un ennemi de la démocratie. Et pourtant, voici ce qu'il écrit :
A choisir entre un monarque éclairé qui m'aide à retrouver ma dignité, qui m'offre de l'espoir, me permet de me soigner et un "démocrate" qui organise régulièrement des élections dans des mouroirs en n'offrant à la jeunesse que le choix de se suicider dans le Sahara, je me soumets au monarque éclairé
Le constat d'Alain Foka est sans appel : entre le respect formel de règles démocratiques importées au seul bénéfice d'une petite caste et un gouvernement fort mais entièrement dévolu aux bonheurs de son peuple, le choix est, en effet, vite fait. C'est en quelque sorte le retour du despote éclairé cher à Voltaire. Mais on sait le sort que l'Histoire a réservé à cette philosophie politique : quelques rares exceptions, plus liées à la nature des dirigeants qu'au système politique, et de nombreuses récupérations politiques au profit d'intentions moins louables.
A titre d'exemples, on peut souligner que c'est exactement ce discours que tient le Président chinois Xi Jinping pour justifier sa tentative de main-mise liberticide sur Hong-Kong. Et le président rwandais Paul Kagame emprunte une posture analogue pour justifier son mode de gouvernement. Pourtant, comparer les modes de gouvernement de Xi Jinping et Paul Kagame serait particulièrement outrancier : le sujet est donc infiniment complexe et ne saurait se résumer à un choix d'organisation politique. D'ailleurs, quel que soit le modèle retenu, il doit, pour ne pas sombrer dans le totalitarisme et l'arbitraire, être soumis à une forme de contrôle.
C'est bien là que le bât blesse et que les démocraties, aussi imparfaites soit-elles, retrouvent leur justification.