Lendemains d'élections
Désert. Croisant une ex-collègue socialiste à la Mairie d'Agen dimanche soir lors du dépouillement, nous nous sommes ensemble souvenus de soirées électorales enfiévrées vécues dans cette salle des Illustres pleine comme un œuf. Ce dimanche de 2021, en-dehors des scrutateurs et d'un photographe de presse, nous étions... deux ! Le désert.
Prime aux sortants. On avait cru comprendre que les 31,3 millions (...!) d’abstentionnistes de dimanche voulaient manifester leur aspiration à des changements en politique. Or, leur non-vote aboutit à l'exact contraire : les sortants ont été massivement réélus et rien ne changera donc, pour l'essentiel. Quelqu'un pour leur expliquer ça ?
Vague porteuse. On comprend que Sophie Borderie et Alain Rousset aient eu chacun le sourire dimanche soir après leur victoire respective : c'est bien normal. Mais il y avait quelque chose d'assez dérisoire à les voir justifier ce résultat par l'excellence supposée du bilan de leurs équipes : car la journée de dimanche a montré que, comme en 2020, les exécutifs sortants, régionaux et départementaux, de droite comme de gauche, ont été réélus quasiment partout, bien plus portés par la vague abstentionniste que par leur bilan (*).
Pyramide inversée. Les élections intermédiaires sont peu favorables au pouvoir en place, a fortiori quand il est aussi jeune et peu implanté que LREM. L'ensemble ne repose, comme la pyramide inversée du Louvre, que sur un seul homme : Emmanuel Macron. Or le Président de la République considère l'ancrage politique territorial "à l'ancienne" manifestement sans intérêt, vu le peu d'attention qu'il lui a porté depuis 2017. A-t-il tort ou anticipe-t-il lucidement une évolution des mœurs ? Réponse dans 10 mois.
Tous les six ans. On ne peut pas dire que les élus départementaux et régionaux sortants nous ont abreuvés d'informations sur leur action au cours des six dernières années. Sans doute serait-il utile que les élus de 2021, qui vont tous percevoir une indemnité, décident d'en consacrer une petite part à nous informer a minima de leur action, autrement qu'une fois tous les six ans quelques jours avant le vote : la participation ne pourrait que s'en trouver améliorée.
Abstentions. J'ai passé une partie de mon dimanche à faire voter les électeurs du bureau de l'Hôtel de Ville d'Agen. Tamponnant leur carte électorale, j'ai été frappé de voir le nombre significatif d'électeurs de ce second tour qui n'avaient voté ni le dimanche précédent, ni aux deux tours de la municipale de l'année dernière, ni aux législatives de 2017, ni même pour beaucoup d'entre eux à l'un des deux tours de la dernière présidentielle. Je veux bien admettre que la politique n'est pas toujours à la hauteur de nos attentes ; mais une telle constance dans l'abstention, toutes élections confondues, me laisse songeur.
Miracle présidentiel ? La présidentielle de 2022 marquera-t-elle la fin de l'inexorable montée de l'abstention ? Rien n'est moins sûr : les scrutins passés nous montrent que le choix du Président de la République intéresse lui aussi de moins en mois les électeurs et pas seulement au second tour.
Et ça continue, encore et encore. Alain Rousset, 70 ans, entame donc son 5ème mandat sous les viva de ses amis. Qui peut après ça imaginer que les hommes deviendront un jour spontanément raisonnables ? Il en est de ce sujet comme de la parité : il faut en passer par la loi pour limiter le nombre de mandats exécutifs et parlementaires consécutifs qu'un élu peut solliciter. Pour moi, le "bon" chiffre serait deux. Tout au plus trois mandats. En tout cas, pas cinq comme Alain Rousset.
Chabanesque. Déjà qu'il n'en faisait qu'à sa tête, le président néo-aquitain va être intenable dans ce cinquième mandat. D'autant qu'avec la "pentagulaire" du second tour, ses équipes ont obtenu à elles seules la majorité absolue des sièges. Bien sûr, l'après-Rousset va commencer dès cette semaine mais la "chabanesque" fin de parcours du doyen des présidents de région risque de paraitre bien longue.
Place aux jeunes. Scrutin après scrutin, on voit bien que les modalités techniques du vote sont certainement à revoir mais il est douteux que cela suffise à inverser la courbe de l'indifférence. Le chantier est plus vaste que ça pour ré-intéresser les électeurs aux enjeux collectifs. A écouter les plus jeunes, je mesure l’immensité du chemin à parcourir : s’ils veulent vraiment que ça change, c’est à eux de se saisir du sujet, autrement que par l'abstention. Car, comme le dit avec humour Marc Jolivet, pas question de laisser ceux qui s'en foutent diriger le monde.
Obsolètes. "Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage". La célèbre formule de l'article 4 de notre Constitution a pris ces derniers temps un sacré coup de vieux : car les états-majors ne servent plus qu'à désigner des candidats, souvent moins pour leur talent électoral propre que pour leur orthodoxie. Résultat : des gens que quasiment rien ne sépare idéologiquement préfèrent perdre séparément que gagner ensemble, laissant ainsi un boulevard à... leurs adversaires. "Allez voter !" qu'ils disaient...
(*) je n'ignore pas que Clémence Brandolin, par exemple, a été battue à Agen. Mais Raymond Girardi, élu sortant de la majorité, l'a aussi été à Casteljaloux. Ces quelques exceptions prises dans chaque camp ne suffisent pas à contester la règle de ces élections très largement vérifiée dimanche, à savoir la reconduction massive des élus sortants, droite, gauche, départements et régions confondus, grâce à l'abstention.