A propos des tensions France - Mali

Publié le par Bernard LUSSET

Entre l'affaire des sous-marins australiens et l'omniprésence médiatique de Zemmour, ce qui se passe au Sahel en général et au Mali en particulier est un peu passé sous nos radars français. L'escalade verbale des derniers jours entre Paris et Bamako devrait pourtant mériter toute notre attention.

  • Pour rappeler les faits d'un mot, la France a décidé de reconsidérer les conditions de sa présence militaire au Sahel et de se concentrer sur la lutte anti-terroriste, laissant le soin aux pays de la région de prendre davantage leur part dans la lutte pour leur sécurité. Les choses ont été dites lors du sommet de Pau notamment et relayé sans cesse depuis par les diplomates, dans un discours où, certes, l'arrogance n'était pas toujours absente.
  • Mais à Bamako, les gouvernants rescapés des putschs d'août 2020 et mai 2021 appellent ça "abandon en plein vol" et en prennent prétexte pour se tourner vers la Russie, désireuse comme tant d'autres d'accroitre sa présence en Afrique : c'est le fameux groupe paramilitaire "Wagner" et ses troupes de mercenaires qui seraient ainsi sollicités pour venir rétablir l'ordre au Mali et assurer la protection des gouvernants, moyennant 9 millions d'euros par mois.
  • le caporal-chef Maxime Blasco
    Florence Parly la Ministre française de la défense nationale a qualifié ces accusations de lâchage "d'inacceptables et indécentes" au moment où la France enterre le caporal-chef Maxime Blasco, dernier soldat victime en date, mort au combat au Mali.
  • La France rappelle en outre que si la force Barkhane compte près de 5000 hommes déployés, ce sont encore près de 3000 hommes qui demeureront présents sur place dans le cadre de la réorganisation en cours : pas vraiment un abandon en plein vol d'autant que les armées locales engagées dans la force conjointe du G5 Sahel ne s'illustrent pas toujours par leur implication ni leur efficacité.
  • Tout ça s'inscrit dans le contexte particulier de la bande sahelo-saharienne où les aspirations nationalistes et communautaires alimentent les coups d'Etat et les exaction terroristes : «  Taper sur les Français, ça a toujours rapporté politiquement au Mali et c’est un moyen commode pour faire diversion sur les vraies causes des échecs rencontrés par les gouvernements » comme le reconnaît un diplomate dans le journal « La Croix ». 
  • De leur côté, les citoyens français comprennent de moins en moins l'utilité pour leur pays de faire couler le sang de ses fils et de déverser des millions d'euros dans une zone où le combat pour la démocratie et la bonne gouvernance ressemble de plus en plus à un combat ingagnable et où il y a plus de coups à prendre que toute autre chose.

Bref, la tension monte, allègrement alimentée par tous ceux qui trouvent un intérêt au désordre ambiant. Pourquoi cela doit-il nous alerter ?

  1. Il faut avoir le regard singulièrement déformé pour ne pas comprendre la nécessité d'une meilleure collaboration entre les pays du nord et du sud. Les défis à venir en matière de sécurité, de démocratie, de développement ou de lutte contre les dérèglements climatiques sont tous, sans exception, des combats qui réclament un esprit de dialogue et de coopération plutôt que des coups de mentons nationalistes ou communautaires, même s'ils sont plus faciles à porter que les discours de raison et de paix.
  2. Nul ne conteste la souveraineté du Mali ni sa liberté de choisir ses partenaires. Mais ce qui vaut dans un sens vaut aussi dans l'autre : la France, elle aussi, a la liberté de choisir ses combats et ses collaborations. Elle aussi a le droit de penser et de dire que la multiplication des coups d'Etat en Afrique de l'Ouest est un mauvais signal pour tous et que les organisations régionales éprouvent de trop grandes difficultés à faire régner dans la sous-région les quelques règles communes en matière de gouvernance qui, pourtant, fondent leur existence même.
  3. Si la collaboration française en matière de sécurité devait être récusée par les autorités maliennes, il ne faut pas imaginer une seconde que, pour autant, Paris abandonnera sa lutte pour la sécurité de ses ressortissants, en France et ailleurs. D'ailleurs, aucun président digne de ce nom, français ou autre, ne le ferait, Emmanuel Macron pas plus qu'un autre.
  4. Si on n'y prend garde, les populations civiles en Afrique seront, comme toujours, les premières victimes de cette tension qui choisirait la sous-région comme nouveau lieu de batailles entre grandes puissances. Qu'on ne s'y trompe pas, l'exemple centrafricain (parmi d'autres) montre les limites du mirage "Wagner" : les exactions s'y multiplient, les droits de l'homme y sont foulés au pied et on ne sache pas que la redistribution des ressources locales s'y fasse au bénéfice des habitants. Ceux qui appellent au départ des Français devraient y réfléchir à deux fois, ceci étant dit dans le strict respect de la souveraineté de chacun.
  5. Il y a quelque chose de désespérant à voir les dirigeants africains se satisfaire d'une telle situation de dépendance à l'égard de l'étranger pour tout, y compris la sécurité de leurs habitants : parce que, qu'elles soient françaises, russes ou guatémaltèques, les forces militaires étrangères qui interviennent ont et seront toujours accompagnées (quand elles ne sont pas précédées) par des représentants d'intérêts économiques ou politiques dont les préoccupations sont assez éloignés du sort des habitants. Ainsi va le monde et on amuse les populations à faire croire que la France serait ce qui se fait de pire en la matière.

Partout dans le monde, la tentation du repli nationaliste et/ou communautaire progresse, partout et donc aussi en Afrique de l'Ouest. Les voix se multiplient, notamment dans les réseaux sociaux, pour remonter à bloc cette jeunesse contre un "ennemi" facilement identifiable : la France. En réalité, nous sommes en train de préparer pour tous nos enfants un monde de ressentiment, de haines et de batailles sans fin parce que sans but.

Les hommes et femmes de bonne volonté, majoritaires mais discrets ou réduits au silence ne peuvent ni ne doivent s'y résoudre : si le but principal des gouvernants n'est que de durer et si les organisations internationales ne servent qu'à distribuer les billets d'avions en classe Affaires à leurs représentants, alors c'est à la société civile de prendre les relais et d'exiger pacifiquement mais fortement la bonne gouvernance et le développement sans lesquels les populations d'Afrique de l'Ouest continueront de s'enfoncer dans la misère, dans l'indifférence de ceux, quels qu'ils soient, qui sont sensés les protéger.

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