A quand un "Montpellier" à Abidjan, Dakar ou Bamako ?
Le sommet de Montpellier dénommé "Afrique-France" initié par Emmanuel Macron mérite quelques critiques : elles n'ont d'ailleurs pas manqué. Mais malgré ses défauts, cette rencontre aura permis que s'établisse le 8 octobre dernier un dialogue d'autant plus singulier qu'il était public, entre le Président français et des représentants de la jeunesse africaine.
Pour avoir suivi à distance ces échanges, je peux témoigner que le mot d'ordre présidentiel "des débats sans filtre" a été respecté à la lettre par les intervenants, de part et d'autre. Rien que pour ça, ce sommet de Montpellier méritait d'exister.
Cette rencontre inédite ouvre en outre deux perspectives nouvelles :
Montpellier, un long travail qui doit ouvrir une nouvelle étape.
Sous la direction d'Achille Mbembe, le sommet Afrique-France a été précédé d'entretiens avec de nombreux représentants des sociétés civiles africaines, en Afrique et en France.
Cette étape ne se voulait pas cathartique, même si la libération de la parole a été utile pour évoquer les relations passées et actuelles entre la France et le continent africain : un long travail d'historiens et de politistes reste à faire pour "nettoyer la marmite", pour reprendre la belle expression de la jeune burkinabé Ragnimwendé Eldaa Koama.
Si la relation entre les pays d'Afrique et la France était une marmite, sachez qu'elle est très sale, cette marmite. (...) Si vous refusez de la laver, si vous voulez quand même préparer là-dedans, je ne mangerai pas, nous ne mangerons pas, l'Afrique ne mangera plus !
Montpellier devait aider à imaginer un nouveau partenariat équilibré de part et d'autre de la Méditerranée. L'avenir seul dira si la graine semée à cette occasion sera fructueuse mais accordons d'ici là le bénéfice du doute aux acteurs de cette rencontre, qu'il s'agisse des Africains qui ont eu le courage de dépasser les condamnations immédiates et binaires des activistes ou qu'il s'agisse d'Emmanuel Macron dans son souci de dépasser les querelles historiques sans sacrifier à la real politik qui commande la politique étrangère de tout pays.
Car c'est bien de cela dont il s'agit : la France est accusée de vouloir préserver ses intérêts stratégiques, commerciaux et culturels en Afrique ? Evidemment qu'elle cherche à les préserver ! Et même à les développer ! Elle fait d'ailleurs désormais davantage commerce avec le reste de l'Afrique qu'avec ses anciennes colonies francophones.
Il faudrait être singulièrement aveugle (ou malhonnête) pour imaginer que Poutine, Xi Jinping ou Erdogan ne seraient mus dans leur politique en Afrique que par un sentiment exclusif de compassion et d'empathie à l'égard des peuples d'Afrique...
A quand un dialogue analogue au sein de l'Afrique ?
Comme le soulignent justement les trois jeunes auteurs de la tribune publiée par Jeune Afrique qu'on pourra lire en fin de chronique, le sommet de Montpellier ouvre une autre porte : il fait rêver que la vie démocratique en Afrique autorise pareil dialogue public entre un Président en exercice et la population de son pays.
Sauf erreur, je ne vois guère que le Président rwandais Paul Kagame pour se prêter régulièrement à un tel exercice, avec les mêmes défauts et les mêmes qualités d'ailleurs que la rencontre de Montpellier.
Pourtant, on voit bien que les revendications de la jeunesse africaine sont davantage destinées à leurs dirigeants nationaux qu'au chef d'état français et c'est bien naturel. Comme l'écrivent judicieusement les auteurs de cet article, "les élites dirigeantes africaines, à quelques exceptions près, semblent relativement satisfaites de leur relation avec l’ancienne puissance coloniale et sont d’ailleurs souvent critiquées pour cette proximité assimilée à de l’obéissance aveugle…" C'est sans doute cela qu'il faut -aussi et d'abord- changer.
Alors, à quand un "Montpellier" à Abidjan, Dakar ou Bamako ?
Sommet Afrique-France : et si les chefs d'état africains s'en inspiraient ? (Tribune dans Jeune Afrique)