Petite chronique de la présidentielle (1)
Fin de cycle. Bien audacieux qui pronostiquerait aujourd'hui qui, de Le Pen ou Zemmour, sera présent au second tour mais il est acquis que l'un des deux y sera : en additionnant les intentions de vote dont ils sont chacun crédités à ce jour, on dépasse les 30 %. Il y a une vraie vague souverainiste, inquiète, nostalgique et égocentrée qui monte.
Le phénomène n'est ni seulement français ni même européen mais planétaire : manifestement, la mondialisation modifie notre regard sur notre quotidien et celui de nos enfants demain : elle suscite une réaction de repli identitaire, nationaliste ou religieux sur tous les continents. C'est d'une certaine manière la fin d'un cycle où l'occident pensait que ses valeurs libérales avaient une vocation universelle. Ca, c'est fini.
Deux stratégies qui se croisent. Alors que Marine Le Pen les avaient abandonnées pour se "dédiaboliser", voilà que les thèses historiques du FN sont reprises avec succès par... Eric Zemmour. Pire, ce dernier parvient aussi à faire converger les voix conservatrices avec les voix souverainistes et le vote populaire avec les classes supérieures, ce que Marine Le Pen n'était jamais parvenue à faire.
Deux malheurs n'arrivant jamais seuls, l'arrivée de l'ex-journaliste dans le paysage politique range aussi Marine Le Pen dans la catégorie des "déjà (trop) vus" à l'heure où, de manière un peu désespérée, les Français aspirent au contraire au renouvellement de leurs dirigeants. Quand ça veut pas...
La droite en mal de leadership. On saura dans un mois à qui les militants républicains confieront la lourde charge de porter la candidature de la droite et du centre. Compte-tenu des fractures et des rancœurs, on a du mal à imaginer que cet électorat longtemps majoritaire dans le pays se rassemble comme un seul homme derrière l'heureux élu qui sortira du congrès des Républicains.
Il faudrait une campagne extrêmement tonique pour donner au candidat la moindre chance d'être présent au second tour. Les dernières présidentielles nous ont certes réservé leurs lots de surprises et incitent à la prudence des pronostics mais là... Finalement, le candidat Républicain aura sans doute plus de chance d'être nommé à Matignon après les législatives que d'être présent au second tour de la présidentielle.
La gauche : "façon puzzle". Hidalgo, Mélenchon, Montebourg, Roussel, Poutou, Artaud : à la multiplicité des candidatures de gauche s'ajoute l'atonie absolue des discours. Après 2002 et 2017, la gauche va-t-elle encore s'expulser elle-même du second tour ? C'est l'hypothèse la plus probable aujourd'hui. Reviens Mitterrand : ils sont devenus fous.
Au-delà, les partis historiques (PS, PC, Républicains, Centristes) sont manifestement en train de sortir tout doucement du paysage politique ; il ne leur reste guère, outre un rôle gravé dans le marbre de la Constitution, que le pouvoir d'investiture aux élections, au moins pour quelques temps encore. Mais côté programmatique, c'est la course à l'échalote, c'est-à-dire le néant.
Macron, colosse aux pieds d'argile. La popularité du Président ne varie guère malgré les crises avec des intentions de vote entre 25 et 30 %. Mais entre la tentation zémourienne à droite et l'exécration que la gauche porte à ce Président, le "front républicain" qui l'avait fait élire en 2017 ne se reproduira pas.
Cela fera sans doute culminer l'abstention le 24 avril prochain à un niveau jamais atteint. Du coup, Emmanuel Macron est dans une position un peu paradoxale : alors qu'il est un des rares candidats du premier tour à être quasiment certain d'être au second, il s'y présentera très seul, au risque très réel d'y perdre sa réélection et, plus grave, de plonger le pays dans une alternance aventureuse.
L'Europe passe à la trappe. Dans la surenchère nationaliste ambiante, on peine à entendre une ambition européenne chez les candidats : même Michel Barnier semble en avoir fait son deuil et la gauche ne vaut pas mieux. On s'achemine donc, encore une fois, vers une campagne présidentielle qui occultera les enjeux européens. Seule exception probable : la tentative de one-man-show européen d'Emmanuel Macron durant la présidence française du premier semestre 2022.
Mais, Président en fin de mandat, il ne disposera en réalité que de trois mois pour agir (en pleine campagne électorale...) ce qui semble bien léger pour espérer faire bouger les lignes en Europe. Comme en 2017, il devrait être le seul candidat ouvertement pro-européen à la présidentielle mais il n'est pas sûr que ce soit son meilleur argument de campagne.
L'écologie passe (encore) son tour ? Les écologistes ont d'une certaine manière gagné la bataille des idées dans l'opinion : il n'y a plus grand monde pour contester la nécessité de réduire notre empreinte carbone pour freiner le dérèglement climatique et veiller davantage sur notre environnement naturel.
Mais sauront-ils unir leurs forces sur cet acquis pour faire élire l'un des leurs à l'Elysée ? Rien n'est moins sûr : on pourrait aisément leur appliquer ce que Bayrou lui-même disait des électeurs centristes. Car en évitant (de justesse) la clivante Sandrine Rousseau, les militants écologistes ont certes choisi un candidat de gouvernement mais de là à rassembler leur électorat et transformer quelques belles victoires urbaines aux municipales de 2020 en majorité populaire au niveau national en 2022, il y a un (grand) pas à franchir : celui du premier tour.
Pas de scénario "à l'allemande". Quel qu'il soit, le prochain Président élu en 2022 sera minoritaire dans le pays : terrible quand on y pense et pas idéal pour entreprendre des réformes. On rêverait d'un scénario à l'allemande dans lequel le Président élu nommerait un premier Ministre issu des rangs de l'opposition, non en débauchant un individu en mal de trajectoire personnelle mais sur la base d'un compromis politique clairement établi entre plusieurs formations politiques.
Si le système proportionnel allemand pousse à ce compromis, ce n'est pas le cas de notre mode de scrutin pour l'élection des députés : 63 ans après (!) l'instabilité gouvernementale de la IVème République continue de tétaniser la classe politique sur le sujet. Autant dire qu'un scénario à l'allemande est hautement improbable, hélas. Ce qui n'augure rien de bon pour le prochain quinquennat.