Etre mitterrandiens
Qu’il est loin le temps où les Français portaient à l’Elysée un jeune président dynamique et prometteur ; 5 ans plus tard (adora quod incendisti, incende quod adorasti : c'est le lot de la politique), ils viennent de lui infliger une leçon, à la hauteur de l'arrogante verticalité qui lui est par dessus tout reprochée. Emmanuel Macron a sans doute découvert ce dimanche qu’on ne préside pas un pays comme on gère une start up...
Sommes nous pour autant entrés dans une ère d’instabilité comme les médias le pronostiquent aujourd'hui ? La France est-elle devenue hier ingouvernable comme on le claironne partout ? Je ne le crois pas.
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Bien sûr, nous allons traverser quelques semaines qui vont faire les délices des commentateurs : les déclarations péremptoires, les coups de menton, les hypothèses institutionnelles, les pressions de toutes sortes, tout ça va arriver, renforcé par les emballements médiatiques. On va, là comme sur les autres sujets, convoquer des experts en tous genres pour échafauder des scénarios, etc...
Mais pendant ce temps, un nouveau gouvernement va être installé, sans doute avec la première Ministre en place qui a, entre autres mérites, celui de pouvoir jouer le rôle de fusible, si la nécessité faisait loi. Puis va débuter immédiatement le travail parlementaire.
Oui des difficultés (en tout cas, des changements) vont apparaître ; malgré l’absence de majorité absolue, le gouvernement va présenter -que pourrait-il faire d'autre ?- les réformes annoncées par le Président de la République dans la campagne présidentielle. Les oppositions vont s'y opposer, plus ou moins frontalement selon les groupes et selon les sujets. Nous sommes dans le fonctionnement démocratique normal d'un parlement, même si nous l'avons un peu oublié ces dernières années, dans lequel le Président n'est pas tout à fait désarmé. Tous vont devoir apprendre à trouver dans ce nouvel environnement politique des formules qui évitent la paralysie politique du pays.
Ils vont y parvenir : peut-être parce que ce sont tous des gens sérieux. Plus certainement parce que si les Français ont voulu donner une leçon à ce jeune Président qui ne les entend pas assez, ils ne sont pas pour autant prêts à voir leur pays sombrer dans l’instabilité politique : les difficultés quotidiennes auxquelles nombre d'entre eux sont confrontés sont trop lourdes pour ça. Malheur donc à ceux qui, l’été passé, voudraient susciter une crise politique majeure, y compris dans la rue : les retournements de situation ne sont pas rares en politique et ce dernier dimanche électoral l’a encore une fois montré.
C'est pourquoi je crois que, loin de l'agitation politico-médiatique, il nous faut plus que jamais être mitterrandiens et laisser du temps au temps :
- Le temps aux députés de prendre leurs marques et d'apprendre leur travail : non seulement les nombreux élus novices du millésime 2022, mais aussi les députés réélus qui ont tant à apprendre de la nouvelle donne politique née dimanche.
- Le temps au Président et au gouvernement de s’adapter eux aussi au nouveau contexte politique qu'ils n'avaient manifestement pas anticipé et qui va nécessairement modifier leur plan de route et, on l'espère, leur méthode de travail.
- Le temps aux Français de jauger l’action des responsables politiques qu’ils se sont donnés ce printemps au gré des deux élections successives.
Ce temps particulier aura au moins la vertu de montrer à ceux qui en doutaient l’importance du travail parlementaire et de la politique en général. Ce ne sera pas inutile dans un pays qui a vu encore progresser ce printemps les effectifs du premier parti de France : celui des abstentionnistes.
C'est une forme de démocratie parlementaire -banale mais inédite sous la Vème République- que nos édiles sont désormais appelés à faire vivre : il ne tient qu'à eux tous d'être à la hauteur des attentes ainsi exprimées par les Français.