Les artisans africains, héros du quotidien
Au fur et à mesure où je prends mes marques dans ma nouvelle vie sénégalaise, je découvre chaque jour un peu plus les trésors d’ingéniosité, de détermination et de courage des artisans que je sollicite. Avec une économie de moyens et de matériels qui ferait fuir n’importe lequel de leurs collègues en France, ils réparent, restaurent, inventent, adaptent.
Là où ailleurs, on changerait une pièce et procèderait à un échange standard, ici on remet en service, on rend leur usage originel à des matériels ou des matériaux qui, partout ailleurs, auraient été condamnés. Cette immense inventivité qui permet à ce peuple si pauvre de maintenir la tête hors de l’eau est pour moi une source permanente d’émerveillement et d’infini respect pour ces hommes, ces femmes et, trop souvent, ces enfants qui réussissent chaque jour l’improbable dans leur métier.
Bien sûr, l’Européen -et singulièrement le Français- amateur de normes, de contrôles et d’homologations en tous genres n’y trouverait pas son compte. Loin de moi d’ailleurs l’idée d’ignorer ce que notre environnement réglementaire a de protecteur tant pour le consommateur que pour le travailleur. Mais à l’expérience africaine, je réalise combien ces débats et ces combats qualitatifs, pour légitimes qu’ils sont, demeurent l’apanage d'un niveau de vie inconcevable ici.
Ibrahima est tôlier automobile à M’Bour ; pendant qu'il intervient sur ma voiture, j'engage la conversation sur son métier. Il est très fier de me montrer le travail de son apprenti qui a complètement reconstitué le bas de caisse d’une Peugeot 307 hors d’âge que nos contrôles techniques auraient, depuis longtemps, condamnée, ravagée par le temps, le sel et les pistes en latérite.
Le plus remarquable dans cette inventivité, c’est qu’elle se transmet d’une génération à l’autre. L’école ici, pour l’essentiel, est dans cette arrière-cour improbablement baptisée garage, atelier de menuiserie ou de ferronnerie.
C’est ainsi qu’ici au Sénégal comme dans tant d’autres pays dits « émergents », se construit une économie de peu de moyens et de grandes intelligences ; rendre possible la découverte par nos jeunes apprentis européens de cet univers si différent serait surement très utile, pour les uns comme pour les autres.
Il me semble en tout cas impossible qu’une telle somme d’intelligences, de courages et de volonté ne finisse pas, un jour prochain, par donner à ces peuples africains leur juste place dans l’économie du monde. Au moment où nos sociétés de consommation occidentales repues découvrent les mérites économiques et écologiques de la réparation des objets du quotidien, ce ne serait que justice.