Au Docteur Paul Chollet

Publié le par Bernard LUSSET

J'apprends la disparition du Dr Paul Chollet au terme d'une longue et belle vie.

Mes pensées vont d'abord au couple qu'il formait avec son épouse Monique et qui vient de se reconstituer pour l'éternité : je suis sûr qu'au-delà des sentiments qui étreignent naturellement tout homme au moment de ce grand passage, le Docteur Chollet a sûrement ressenti une forme de paix intérieure, et peut-être même de joie, à la perspective de retrouver celle qui a tant compté dans son parcours d'homme et de père, bien sûr, mais aussi de personnage public. Je veux donc d'abord penser en cet instant au Docteur et Madame Chollet de nouveau réunis.

Je pense ensuite bien sûr à leurs enfants et tous leurs proches dans la peine.

D'autres que moi, mieux que je ne saurais le faire et avec plus de légitimité, rappelleront le parcours du Docteur Chollet, demain et plus tard : il a tant fait... Ayant eu le privilège de travailler pour lui et à ses côtés durant 15 ans, je veux simplement évoquer ici, entre mille images que je conserverai de cette période heureuse de ma vie, deux souvenirs personnels qui m'accompagnent : le premier concerne le pédiatre et l'autre, l'homme public.

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Le pédiatre d'abord : je ne suis pas né à Agen et donc, contrairement à la plupart de ceux de ma génération, je ne suis pas passé dans la salle de consultation du premier et plus célèbre pédiatre de la ville : je n'ai donc pas été un "bébé Chollet" comme on les appelait. Et quand mes enfants sont nés à la fin des années 90, Paul Chollet n'exerçait déjà plus. J'ai pourtant eu recours, une fois, aux services du pédiatre : quelques jours auparavant, mon jeune fils était passé tout près de s'étouffer accidentellement sous nos yeux en mangeant. Déglutir était devenu une épreuve pour lui mais aussi pour nous tous : chaque repas nous tétanisait et la moindre bouchée avalée par le gamin était devenue une petite victoire douloureuse. Inquiet et n'y tenant plus, je finis par raconter au Docteur Chollet la mésaventure, somme toute banale, de mon fils. "Amenez-le moi à Bel Air samedi après-midi !", me répondit-il.

Le jour dit, mon fils et moi arrivons sur les hauteurs de Colayrac. Le Docteur emmène mon fils voir ses moutons qui paissent dans l'herbe. J'entends à distance la conversation s'engager entre eux deux sur le thème de l'alimentation. Le Docteur Chollet montre à mon fils que les moutons qui les entourent broutent, mâchent et avalent, dans un réflexe naturel. Mine de rien, je vois mon fils écouter avec attention. La balade terminée, nous remontons sur la terrasse où nous attendait une collation faite d'un jus et d'une mousse de fruits achetée par Madame Chollet chez Maufferon : idéale à manger quand on a la déglutition difficile. Les angoisses du fils -et du père- se sont envolées ce jour-là dans le ciel de Bel Air ; les deux s'en souviennent encore avec émotion, plus de 15 ans après.

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L'homme public ensuite : Le Dr Chollet n'a principalement connu que des succès électoraux dans son parcours public. Je conserve pourtant le souvenir de ce jour de juin 1997 où j'étais monté en voiture à Paris pour vider son bureau de député à l'Assemblée  nationale, après qu'il ait été battu lors de ces funestes législatives-couperet de 1997, après la dissolution. Dans les couloirs, se croisaient les députés sortants, les battus et les réélus, avant que n'arrivent le lendemain les petits nouveaux : le grand brassage démocratique au 101, rue de l'Université.

Avec l'aide de mon homologue parisienne assistante parlementaire, le Docteur et moi rassemblons les cartons, témoins de 11 années de travail du député d'Agen Nérac. Puis nous descendons tout ça au parking du sous-sol pour les charger dans ma voiture, avant que je reprenne la route d'Agen seul, le Député restant quelques heures encore à Paris. En refermant le coffre, j'ai vu là, pour la première et la dernière fois, dans la pénombre de ce parking souterrain, les grands yeux clairs du Docteur Chollet embués de larmes. Le sentiment d'injustice était sûrement très fort chez celui dont l'action parlementaire avait été saluée sur tous les bancs : mais il n'eut pas un mot, pas une aigreur, pas un ressentiment à l'égard de ce juge de paix suprême qu'est l'électeur en démocratie. J'ai vu ce jour-là ce qu'était une défaite digne.

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Le dernier mot. Comment ne pas le laisser au Docteur Chollet lui-même ? C'était le 11 octobre 2009 à Bordeaux. Alain Juppé avait accepté de lui remettre les insignes d'Officier de la Légion d'Honneur. Les deux hommes avaient convenu de faire ça dans les salons d'honneur du Stade Chaban-Delmas, dans la foulée d'une rencontre SUA-UBB. Le rendez-vous fut d'autant plus agréable que les joueurs de l'UBB eurent la délicatesse ce jour-là de laisser la victoire au SUA, emporté par un Brice Dulin flamboyant, devant 20 000 spectateurs enthousiastes. Un bel après-midi de rugby...

A l'issue du match, Alain Juppé prononça un discours "à la Juppé" : brillant, courtois et.. froid. Le Docteur Chollet y répondit par un discours "à la Chollet" : chaleureux, travaillé et empathique. J'en reproduis ici les derniers mots, comme un viatique :

"Permettez-moi trois recommandations :

Ne sacrifiez jamais votre idéal de liberté, mais inscrivez-le dans un moule fraternel,
car il n'y a pas de moi sans les autres.

N'acceptez pas que l'on règle vos problèmes sans vous,
sous peine de vous voir exclus des vraies solutions.

Et enfin, rejoignant définitivement ma vocation première, je vous fais cette dernière supplique : prenez grand soin de vos enfants, mais n'en faites pas des enfants-rois ; vous ne les prépareriez qu'à l'esclavage.

Ne les larguez pas trop tôt, mais évitez de les installer dans la dépendance.

Accompagnez-les patiemment dans leur prise d'autonomie jusqu'à leur envol.

Et, surtout, ouvrez-les inlassablement à la connaissance, à la culture et au contact des autres : il n'y a pas de meilleure façon d'aimer."

Le jour où la crèche bleue d'Agen devint la "crêche Paul Chollet"

Le jour où la crèche bleue d'Agen devint la "crêche Paul Chollet"

Publié dans on en parle à Agen

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S
Bonjour Bernard, quel témoignage saisissant, merci...... Je me rappelle quant à moi ;en mars 2001, suite à la défaite aux municipales , avoir répondu à la demande du Docteur Chollet. Il s'agissait de vider son bureau de Maire. Les nombreux allers retour entre la mairie et son domicile témoignaient de l'activité intense que produisait son administration du temps de ses 2 mandats successifs... J'étais triste et il avait su me rassurer, il avait dit ceci " la première année qui suit une élection, il y'a beaucoup d'attente de la part de ceux qui vous ont élu, il peut y'avoir également beaucoup de déçus !!! Il avait été clairvoyant car peu de temps après, Jean Dionis était élu député de la 1 ère circonscription ;-)
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P
Cher Bernard,<br /> Tu retraces parfaitement qui était Paul Chollet, ce grand homme par l’esprit et par la taille.<br /> Nous avons passé des moments inoubliables pendant la mandature 1995-2001, et pris des leçons de politique mais aussi de philosophie de la vie…<br /> Il est rare de rencontrer des personnes ayant eu une vie aussi riche et aussi accomplie. Ce fut un privilège de pouvoir l’approcher.
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C
Cher Bernard, Je me souviens aussi avec émotion de la lettre qu'ils nous avaient écrite lors de notre élection à la mairie d'Agen en mars 2008, c'était un message plein d'empathie pour nous aider sur le chemin de cette nouvelle gouvernance car nous étions nombreux à être élus pour la 1ère fois
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