Le Président a dit
Guillaume Pépy, alors président de la SNCF, a théorisé un jour ce principe : «la réforme la plus intelligente qui soit, si elle n’est ni comprise, ni acceptée par ceux auxquels elle s’applique ne vaut rien».
Je tourne en boucle cette formule dans ma tête depuis le lancement de la réforme des retraites et les derniers rebondissements du projet me confortent dans l’idée que Pepy avait furieusement raison.
L’échec du gouvernement dans son projet est patent et durable : peut-être la réforme sera-t-elle votée lundi, faute qu’une motion de censure soit adoptée grâce au sursaut existentiel de quelques députés LR. Mais à quel prix politique pour le président de la république ? Et pour nous tous ?
On peut toujours m’expliquer que les LR, devenus un petit bateau ivre, ont manqué de constance ; que LFI a « bordelisé » les débats au risque de ruiner durablement l’image de la démocratie parlementaire ; que le président avait annoncé ses intentions dans la campagne présidentielle ; que l’habilité silencieuse dans les débats du RN est une démagogie de plus, etc.… Rien de tout cela n’est tout à fait faux, mais rien de tout cela ne suffit à expliquer l’impasse politique dans laquelle se trouve aujourd’hui le président de la république, et nous tous avec lui.
Revenons à Guillaume Pépy. « Une réforme a besoin d’être comprise et acceptée par ceux auxquels elle s’applique ». Qu’est-ce que ça veut dire au juste ? Que la verticalité, en politique comme ailleurs, c’est fini, quoi qu’on en pense. Qu’on ne gouverne pas impunément contre l’opinion publique. Aussi intelligent, qu’on soit (ou qu’on se pense), mieux vaut remettre le métier sur l’ouvrage plutôt que de s’obstiner face au peuple.
Est-ce pour autant la fin du volontarisme de l’action publique ? Bien sûr que non ! Mais en effet, ce volontarisme ne peut plus dépendre de la volonté d’un seul homme, fût-il élu au suffrage universel.
Est-ce un sacré changement de paradigme pour notre système de démocratie représentative ? Oui. Mais il faut un singulier aveuglement pour ne pas l’avoir senti monter, ce changement, ces dernières années.
Comment ceux qui ont l’honneur de servir leur pays peuvent-ils imaginer qu’on continuerait de gouverner la France en 2023 comme on le faisait il y a 50 ans, alors que tous les autres acteurs de la société (entreprises, associations, familles, collectivités) ont compris et se sont adaptés, bon gré mal gré ?
C’est bien cela que le président n’a toujours pas compris, ou pas voulu voir, enfermé dans des certitudes d’un autre monde et d’un autre temps. Je le dis depuis longtemps : il manque à Macron, brillant par ailleurs, une bonne expérience d’élu local…
Dans la réforme des retraites, ce manque présidentiel est flagrant et les maladresses s’y sont accumulés.
Sur le fond d’abord : le gouvernement a tenté de justifier le projet tour à tour par mille arguments successifs qui se sont tous effondrés quand ils ne se contredisaient pas. On nous a ainsi parlé de l’urgence (contre les scénarios du COR), de la justice des mesures (démentie au fur et à mesure de l’examen du texte), de la cohérence politique (après un débat pré-présidentiel délibérément occulté par Emmanuel Macron).
Le sujet des retraites était forcément très technique dès le départ : il est devenu incompréhensible à force d’hésitations et de contre discours, alors même qu’il a passionné les Français comme jamais.
Mais le président a aussi été maladroit sur la forme : rien d’autre que l’entêtement présidentiel -absolument rien d’autre- ne peut justifier ces recours successifs à tous les outils que la constitution a inventé alors pour contraindre le débat parlementaire hérité de la IVe République : le choix du type de texte qui a réduit artificiellement et autoritairement le temps du débat, le vote bloqué au Sénat et, cerise sur le gâteau, le 49-3 en deuxième lecture à l’Assemblée. On aurait voulu hystériser le débat qu’on ne s’y serait pas pris autrement. LFI n’attendait que ça…
Faut-il en conclure que ce gouvernement serait plus maladroit, sourd, aveugle et incompétent qu’un autre ? Je n’en crois rien. Je crois en revanche que la verticalité de Macron a bloqué le système, en tuant dans l’oeuf toute idée qui n’aurait pas été conçue à l’Élysée.
« Le président a dit ». Alors, les ministres s’exécutent, comme de bons petits soldats : par loyauté sans doute pour quelques-uns, par volonté de durer, sans doute aussi pour d’autres. Mais sans doute pas par cohérence politique : qui peut croire vraiment qu’Olivier Dussopt, au regard de son parcours politique personnel, est à l’aise avec cette réforme ? Qui peut croire que Bruno Lemaire, fin politique ambitieux, n’a pas vu venir le naufrage ? Qui peut penser qu’Elizabeth Borne, plus encline au dialogue que ce que ces apparences rigides peuvent laisser croire, a assumé facilement la ligne de crête qui lui était imposée par le Chateau ?
Dans un système aussi centralisé et bunkerisé que celui mis en place à l’Élysée depuis 2017, il n’y a pas de place pour autre chose que les décisions du président dans la gestion du pays : la suppression de la taxe d’habitation, -stupidité fiscale sans nom que personne ne demandait- nous en avait donné un triste avant-goût.
Or, cette crispation sur la personne même du président crée les conditions d’une crise politique qui m’inquiète : non seulement parce que le président n’est élu que depuis un an et que l’essentiel de son mandat est encore devant lui (et devant nous).
Mais aussi parce que ni un changement de premier ministre, ni même une dissolution ne me semblent pouvoir dénouer la crise, sauf à ce que l’assemblée issue des urnes ne dégage une majorité nouvelle, ce qui n’est pas garanti loin de là.
Autrement dit, je crains que, lourdement handicapé par ses certitudes et son incapacité à entendre le pays, Emmanuel Macron ne prépare l’avènement de lendemains politiques dont personne ne veut vraiment au fond.
L’actuel président a, dit-on, le souci de laisser une trace dans l’histoire politique du pays ? Je ne voudrais pas qu’elle se résume à un boulevard ouvert par lui à Marine Le Pen. Ca, nous serions nombreux à ne pas lui pardonner.
Alors que faut-il faire ? Depuis ma retraite africaine (où la chose publique n’est pas très simple non plus en ce moment…), je serais bien présomptueux et bien peu légitime à prétendre pouvoir répondre seul à cette question.
Mais parce qu’on ne peut pas seulement critiquer, je me lance, en simple citoyen.
On l’aura compris : je suis convaincu que le cœur de la crispation est à l’Élysée. Dans cette situation, il n’y a pas de premier ministre « fusible » ni de dissolution qui puissent changer les choses.
Le seul chemin qui me semble encore ouvert est celui d’un changement de pied du président et d’un changement de gouvernement qui s’accompagne d’un engagement de changement de méthode.
Au fond, j’attends d’Emmanuel Macron qu’il mette en œuvre l’engagement qu’il avait pris au lendemain de sa réélection quand il prétendait avoir compris que le vote qui l’avait de nouveau désigné ne valait pas assentiment de son programme. « Cela m’engage » nous avait-il dit alors. C’est le moment de le montrer.
Laissons LFI à ses outrances et le RN à ses manigances : je suis convaincu qu’il existe aujourd’hui, face à l’état de tension du pays, des parlementaires de gauche, du centre et de droite qui seraient prêts à soutenir l’action gouvernementale dès lors qu’un programme clair et réellement co-construit avec eux serait établi.
Oui, une sorte de gouvernement à l’allemande et qu’importe si cela demande un peu de temps pour le bâtir. Je n’ignore pas que notre histoire politique a écarté jusqu’à ce jour de tels comportements politiques mais justement : nous sommes face à une situation inédite. L’actuelle assemblée nationale permettrait de négocier ce tournant, j’en ai la conviction.
On m’objectera que c’est ce que Macron a tenté de faire au lendemain des législatives ? Oui mais de quelle manière !? Il ne s’agissait pas alors de co-construction mais d’un ralliement sans condition au président qui était demandé. Aujourd’hui encore (aujourd’hui peut-être, plus encore qu’en juin dernier) pas un député ne serait assez dingue pour s’engager dans une telle aventure sans un minimum de garanties de changements de la part du président de la république.
En est-il capable ? Je le crois.
Peut-il l’imaginer ? Je l’espère.
Est-il prêt à ce sursaut personnel ? Je n’en sais rien.
En tout cas je le redis : à mes yeux, la balle est dans son camp.
Et nulle part ailleurs.