Trumpisation des élus LR ?
"Hold up démocratique" selon Eric Ciotti. "Le Conseil constitutionnel est sorti de son lit" déclare Laurent Wauquiez. Le président du groupe LR à l'Assemblée remet lui aussi en cause la décision des Sages et François-Xavier Bellamy en rajoute une couche : "c'est un coup d'état institutionnel, qui viole la lettre et l'esprit de notre constitution". Le moins qu'on puisse en dire est que la droite, toute heureuse d'avoir tordu le cou du gouvernement avec la loi immigration, est vent debout contre la dernière décision du Conseil Constitutionnel (CC) qui réduit à peu de choses le résultat obtenu.
Ces réactions sont-elles un épiphénomène ? Pas vraiment : entendre ceux qui se prétendent les héritiers du général de Gaulle remettre en cause la décision de l'instance constitutionnelle suprême n'est pas un évènement anodin. Il montre que certaines digues sont insidieusement franchies, y compris de la part de ceux qu'on espérerait les plus respectueux de l'ordre constitutionnel. Attention : danger !
Qu'on se comprenne bien : les responsables politiques ont tout le loisir et toute la liberté de regretter que le CC ait pris une décision qui ne répond pas à leurs attentes. Dans le cas de la loi immigration & intégration, on le sait, le contexte parlementaire particulier fait que, pour l'essentiel, le texte finalement voté et soumis au Conseil constitutionnel était davantage celui des LR que celui du gouvernement.
La décision du CC revient à ramener pour une large part le texte définitif au projet initial du gouvernement. D'où la déception des LR, même si personne en réalité ne doutait de l'issue de cette procédure : durant les débats, à de nombreuses reprises, le gouvernement avait alerté sur le caractère inconstitutionnel de certaines dispositions adoptées contre son gré.
Assiste-t-on à une forme de "trumpisation" des élus LR ?
Mais que le dépit amène ces responsables politiques à remettre en cause la légitimité même du Conseil constitutionnel est un fait gravissime et, pour tout dire, une attaque inquiétante à l'égard de nos institutions. Pour qui vit comme moi dans un pays où l'état de droit, c'est à dire le respect des règles communes, est sujet aux pires manquements, il y a là un glissement idéologique inquiétant. Inquiétant et indigne d'élus qui se veulent "républicains". Jusqu'où iront-ils ainsi ? Assiste-t-on à une forme de "trumpisation" des élus LR ?
Toute autre chose est de prendre acte de la décision du Conseil constitutionnel et de vouloir changer ce qui doit l'être dans nos règles pour faire adopter les mesures auxquelles on tient. Ainsi l'initiative annoncée par certains sénateurs centristes me semble, elle, respectueuse de notre état de droit : les deux principaux articles censurés par le CC l'ont principalement été parce que les Sages ont considéré qu'il s'agissait de "cavaliers législatifs", c'est-à-dire de dispositions ajoutées sous forme d'amendements qui n'avaient qu'un trop lointain rapport avec le projet de loi initial.
Si les parlementaires mettent en œuvre cette initiative et font adopter leur proposition de loi, les Sages de la rue Monpensier examineront alors au fond la constitutionnalité des nouvelles dispositions. Car le CC ne fait que dire le droit en vertu des textes existants. Ce n'est pas une institution politique mais juridique dont les membres, rappelons-le, sont nommés pour 9 ans, sont inamovibles, non renouvelables et désignés par tiers par le Président de la République et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.
En République comme au rugby, l'arbitre doit demeurer souverain
Leur statut les met donc à l'abri de toute pression et de toute tentation partisane. Nul ne peut mettre en doute l'indépendance de leurs jugements collectifs qui ont la caractéristique de toute œuvre humaine : faillible et contestable. Mais en République comme au rugby, l'arbitre doit demeurer souverain ; sans quoi, rien n'est possible.
Alors débattre du contenu de ses décisions : oui. Mais parler de "hold-up démocratique" ou de "coup d'état" est une infamie, un dangereux scandale qu'aucune déception enflammée ne saurait justifier et qui entraine le pays dans une pente dangereuse pour notre démocratie.
Messieurs, ressaisissez-vous !