Les leçons de l'élection présidentielle au Sénégal

Publié le par Bernard LUSSET

Ce soir du 24 mars 2024, j'ai un peu l'impression de revivre, avec 43 ans de recul et à 5000 kilomètres de distance -et toutes choses étant égales par ailleurs- ce que j'ai vécu le soir du 10 mai 1981. Pourquoi cette analogie m'arrive au moment où Bassirou Diomaye Faye vient de bénéficier d'un rare raz-de-marée électoral non pronostiqué qui va le porter dès le premier tour à la tête de la présidence de la République du Sénégal ?

Doimaye = Sonko

Sans doute parce que la rupture apportée ce soir au Sénégal par le résultat de l'élection  du nouveau Président me rappelle celle qu'incarnait l'élection du premier Président socialiste de la Vème République française, François Mitterrand. Et il y a en effet quelques analogies à relever.

Une victoire "impossible". Comme en 1981, j'ai entendu ces dernières semaines beaucoup de gens très informés m'expliquer doctement que l'élection du "plan B" d'Ousmane Sonko était impossible au Sénégal : Bassirou Diomaye Faye était un inconnu du grand public, il ne détenait aucun mandat électif et ne disposait d'aucune expérience publique. Bref, jamais les électeurs sénégalais ne porteraient un tel candidat par raccroc au palais présidentiel lui qui n'était que la "doublure lumière" de Sonko empêché de participer à l'élection mais restauré dans tous ses droits civiques quelques jours avant le 1er tour...

Rupture. Analogie aussi avec la rupture politique incarnée par le candidat du PASTEF : comme Mitterrand prétendait le faire en 1981, le programme politique porté par Sonko et son candidat veut incarner une rupture avec un système précédent jugé sclérosé et incapable de répondre aux aspirations du peuple. On sait ce qu'il en est advenu des promesses de Mitterrand : on verra ce que Faye fera de son mandat.

Mouvement populaire. Analogie enfin avec l'extraordinaire espoir populaire instantanément suscité par les premiers résultats de cette soirée électorale qui, sans même attendre les résultats finaux, ne laissent aucun doute sur l'issue de l'élection. Les foules rencontrées ce soir le long de la route qui traverse notre village sénégalais m'ont furieusement pensé à cette foule compacte qui occupait le 10 mai au soir la place de la Victoire à Bordeaux. 

Là s'arrête cette analogie sans doute contestable à plus d'un titre. Mais il est indéniable en revanche que le peuple sénégalais ce soir, en déjouant les pronostics, a rappelé avec justesse qu'en démocratie, le patron, c'est bien le peuple. Et ce soir, le peuple a exprimé avec une clarté inattendue sa volonté d'un profond changement à la tête du pays.

Deux éléments d'analyse à chaud me semblent mériter d'être précisés ici, avant que les jours prochains ne permettent d'en dire davantage :

- les délais particulièrement contraints de la campagne électorale officielle ont littéralement laminé les "petits" candidats : impossible pour eux en moins de 10 jours de parvenir à exister devant l'opinion publique. Résultat : avant même le scrutin, chacun avait la conviction que l'élection se résumerait à un duel entre Amadou Ba, candidat de la majorité présidentielle sortante et Bassirou Diomaye Faye, candidat du camp Sonko. C'est sans doute ce qui explique que quelques leaders politiques pourtant majeurs n'ont récolté que quelques misérables pourcentages de voix aujourd'hui, permettant la victoire de Faye dès le 1er tour malgré les 16 candidats en lice.

- Maladresse ? Je continue d'être estomaqué par la maladresse dont a fait preuve le président sortant à l'égard de Sonko ces deux dernières années. C'est bien Macky Sall et son appareil d'état qui ont fait du principal opposant un véritable héros national. C'est l'Etat qui, sous couvert de le combattre, lui a bâti une image qui n'a cessé de le porter, malgré tous les aléas judiciaires. C'est bien le pouvoir sortant qui a érigé Sonko en seul opposant crédible. Et ce soir, c'est bien le jugement lapidaire (et sans doute injuste) d'un peuple à l'égard d'un pouvoir sortant qui s'exprime. Mais c'est aussi et sans doute surtout, l'expression démocratique d'un soutien à une personnalité perçue comme injustement persécutée ces dernières années. Qu'on songe que Sonko et son candidat Faye, il y a 10 jours à peine, se trouvaient encore en prison...

***

A mes amis français, je veux dire ceci : le scrutin sénégalais du jour porte aussi une leçon pour notre pays. J'ai la conviction que, de la même manière que les mandats de Macky Sall ont permis et même préparé, sans doute sans le vouloir, l'accession au pouvoir des amis d'Ousmane Sonko, de la même manière, la poursuite en France de la politique actuelle et de la communication qui la sert balise inexorablement le chemin de Marine Le Pen vers l'Elysée en 2027.

S'il n'est pas trop tard, sachons retenir la leçon que le Sénégal nous adresse ce soir...

Publié dans on en parle en Afrique

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