A propos du débat Sonko-Mélenchon à Dakar
Jean-Luc Mélenchon était cette semaine en visite au Sénégal, à l’invitation du parti PASTEF que préside Ousmane Sonko, le nouveau premier Ministre sénégalais. Les dirigeants africains nouvellement élus voulaient par cet accueil signifier leur reconnaissance à l’égard de la France Insoumise qui a été la seule formation politique française à condamner les atteintes à la vie démocratique du Sénégal qui ont marqué les dernières années du mandat de Macky Sall. Au même moment, Emmanuel Macron choisissait le président sénégalais pour en faire son "représentant spécial" du Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète : peut-être cette nomination a-t-elle été une des clés de l'apaisement mais elle a été vécue, non sans raison, comme une provocation de la part de ses opposants.
A l'occasion de cette visite d'amitié, Sonko et Mélenchon ont tenu une conférence commune qui devait évoquer les nouveaux rapports à établir entre l’Afrique et l’Europe et plus particulièrement entre le Sénégal et la France. Ce moment a surtout permis de mettre en lumière les convergences idéologiques fortes entre les deux mouvements politiques et, notamment, leur commune opposition au Président français qu'ils n'ont pas ménagé dans leurs critiques.
Dans cette conférence, Sonko et Mélenchon n’ont pas masqué un de leurs rares points de divergence et il faut leur rendre hommage de cette franchise partagée : il s’agit des questions de « genre » ou, pour utiliser un mot plus explicite banni du vocabulaire sénégalais, le sort réservé aux homosexuels dans le pays. Jean-Luc Mélenchon ne s’est pas échappé devant cette divergence, assumant crânement face à un public plutôt hostile son soutien à la loi Taubira et, plus largement, à la liberté sexuelle. La réponse qu’Ousmane Sonko y a apporté mérite d’être connue. Je la reproduis fidèlement ci-dessous avant d’y ajouter quelques commentaires :
« Il est évident que les velléités extérieures de nous imposer l’importation de modes de vie et de pensée contraires à nos valeurs risque de constituer un nouveau casus belli. La question du genre, par exemple, revient régulièrement dans les programmes de la majorité des institutions internationales et dans les rapports bilatéraux, même souvent comme une conditionnalité pour différents partenaires financiers.
La question des genres n’est pas nouvelle dans nos sociétés. Il ne faut pas penser que nos sociétés ne connaissaient pas ces questions. Elles les connaissaient et les géraient à leur façon. Elles sont presque consubstantielles à l’humanité. Elles ne peuvent donc être l’apanage de l’occident. Chaque société a établi et perpétue librement ses mécanismes d’absorption des faits sociaux qu’il faut accepter dans les limites de l’humainement raisonnable.
Par exemple, la France interdit la polygamie. Le polygame que je suis serait un hors-la-loi en France. Nous l’admettons ; tels sont la culture et le mode de vie de la France et de l’Europe. La France particulièrement fait de la stigmatisation d’une religion, en l’occurrence musulmane, son exercice favori au point d’interdire à des musulmanes de s’habiller comme elles l’entendent. Si cela est conforme à la culture, aux modes de vie, aux options des Français, nous l’acceptons et les Sénégalais qui vivent en France devront s’y adapter.
Si aujourd’hui dans notre société, le phénomène dont je viens de parler n’est pas accepté, il est toléré et le plus grand danger que peuvent encourir les membres de cette communauté, c’est la propagande qu’on veut nous imposer. Parce que depuis l’aube des temps jusqu’à présent, les sociétés ont vécu avec ces phénomènes et il n’y a jamais eu de persécution ni ici au Sénégal ni nulle part en Afrique. Chaque peuple a vécu ces phénomènes au point de leur trouver des concordances sémantiques : ici au Sénégal, on dit « goordjigueen » (littéralement homme-femme). Ce n’est pas tombé du ciel, c’est parce que ça existe. Mais nous l’avons géré et nous continuerons de le gérer à notre façon et selon nos réalités socio-culturelles.
Sur ces considérations, nous appelons le monde occidental à faire preuve pour une fois de retenue, de respect, de réciprocité et de tolérance. J’entends souvent, quand il y a des kamikazes qui posent des bombes -ce que nous dénonçons toutes et tous tout le temps- les officiels dire : « ces illuminés s’attaquent à notre mode de vie ». Et bien, nous aussi, nous avons un mode de vie. Le mode de vie ne peut pas être uniforme ni universel : il doit souffrir de quelques exceptions ça et là. C’est pourquoi sur ce phénomène particulièrement le Sénégal et beaucoup de pays africains ne peuvent accepter une quelconque velléité de leur imposer la légalisation de ces phénomènes. »
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Dans sa réponse, il faut admettre qu'Ousmane Sonko fait de la réalité sénégalaise une présentation quelque peu avantageuse : lorsqu'il prétend qu'aucune persécution n'a lieu à l'encontre de la communauté homosexuelle, il joue un peu sur les mots : il oublie de rappeler d'abord que la loi sénégalaise s'applique bel et bien. La presse locale fait ainsi régulièrement état des interventions des forces de l'ordre, des poursuites judiciaires et des condamnations prononcées à l'encontre d'homosexuels (peine de prison prévue par la loi sénégalaise : de 5 à 10 ans, la peine maximale étant requise en cas de présence de mineurs). Il oublie aussi sa promesse électorale de faire voter comme "première loi si je suis élu Président" un texte criminalisant l'homosexualité qui est aujourd'hui un délit. Il omet enfin l'exemple de cet homme décédé dont le corps a été déterré, retiré du cimetière puis brûlé par quelques radicaux en place publique à Kaolack (Sénégal) en octobre dernier au motif de son homosexualité supposée...
Ceci dit, le Président du PASTEF et Premier Ministre fait un plaidoyer habile et juste en soulignant que les Sénégalais vivant en France doivent, quoi qu'ils en pensent, respecter les lois et coutumes françaises. Il indique ainsi dans un sourire que, lui le polygame, serait "hors-la-loi en France" et il l'accepte. Il exige simplement la réciprocité de ce principe. Or, on le sait bien, il n'en est rien : comme le rappelle Sonko, au nom de l'universalité de leurs valeurs libérales, les pays occidentaux et les organisations internationales mettent la pression sur les pays pour leur faire admettre leurs standards sociétaux, suscitant en retour des réactions de rejet qui deviennent le ferment de toutes les radicalités.
Ce faisant, les pays européens oublient qu'eux-mêmes ont eu sur ces questions de société, il n'y a pas si longtemps, une position bien différente : qui se souvient qu'il aura fallu attendre 1982 pour que l'interdiction de l'homosexualité édictée par le régime de Vichy en 1942 soit abolie ? De la même manière, on a oublié la virulence des débats au parlement français lors du vote de la loi Taubira sur le mariage pour tous : c'était il y a seulement 11 ans. Et nous voudrions, en nouveaux convertis, porter fièrement la bannière en tête de cortège pour convaincre les autres peuples, y compris contre eux-mêmes, de la supériorité de nos valeurs ?
Assurer la promotion de ces principes est une noble ambition mais elle ne peut se faire en ignorant, voire en condamnant, les opinions publiques qui ont à ce jour une autre histoire, une autre culture et d'autres mœurs. En agissant ainsi, loin de plaider la cause des homosexuels de ces pays, nous alimentons la rancœur et donnons du grain à moudre aux conservatismes les plus radicaux. L'art de se faire détester sans faire progresser nos idéaux.
La prochaine rencontre prévue à Paris le mois prochain entre Emmanuel Macron et le nouveau Président sénégalais Bassirou Diomaye Diakhar Faye permettra-t-elle d'ouvrir les yeux des dirigeants français ?