Macron : l'arroseur arrosé
Résumons en quelques mots la folle semaine que nous venons de vivre :
- Dimanche soir, avec 31% des suffrages, le RN emmené par Jordan Bardella rafle 30 des 81 sièges français au Parlement européen, quand la liste macroniste (14,6%) n'en sauve que 13, autant que Glucksmann et le PS.
- Dès sa déculottée électorale officielle, le Président de la République lance, selon ses propres termes avoués quelques heures plus tard à Oradour sur Glane, une "grenade dégoupillée dans les jambes de [ses] adversaires" en annonçant à la stupéfaction générale la dissolution immédiate de l'Assemblée Nationale. Le même affirmait quelques jours plus tôt que les élections européennes "n'auraient pas d'influence sur la vie politique nationale"...
- François Ruffin dans la foulée appelle le peuple de gauche à la constitution d'un nouveau "Front Populaire" rassemblant toutes les énergies. Quelques jours plus tard, lesdites énergies annoncent non seulement la constitution d'un improbable accord électoral mais aussi d'un non moins improbable programme commun de gouvernement entre des formations qui n'étaient d'accord sur rien quelques heures seulement auparavant.
- Eric Ciotti, bradant l'héritage politique de son parti, annonce solitairement la constitution d'une alliance LR / RN pour les législatives. Il sera largement démenti un peu plus tard par les cadres des Républicains, sans qu'on sache à l'heure qu'il est si les électeurs LR le suivront majoritairement ou pas.
- Mélenchon profite des investitures à réaliser dans l'urgence pour balancer par-dessus bord les quelques rares députés LFI sortants qui avaient osé contesté son magistère pesant sur le parti.
- Profitant du désordre ambiant, voilà François Hollande qui s'insère subrepticement dans le jeu en annonçant sa candidature à Tulle, sans que les tenants du Nouveau Front Populaire n'osent le rejeter.
- Ouvrant tardivement les yeux, le camp présidentiel ouvre en même temps les vannes, dans une tentative désespérée de rallier les suffrages perdus : voilà Gabriel Attal chargé de diffuser un programme d'action gouvernementale en large contradiction avec ce qui avait été fait jusqu'ici. Sauve qui peut général...
Le Président de la République a joué aux dés dimanche soir la fin de son quinquennat. Mais ce faisant, l'arroseur arrosé entraine follement avec lui le pays dans une terrible ère d'incertitude et d'instabilité.
Nous ne pouvons exclure d'être nombreux, le 7 juillet, à n'avoir devant nous comme seule alternative que de devoir choisir entre le RN et l'alliance improbable des gauches-irréconciliables-fraîchement-réconciliées. Pour moi, ce serait un bulletin blanc que je glisserais alors dans l'urne.
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Reste un (petit) espoir : les instituts de sondage laissent augurer une participation électorale importante, qui témoignerait, si elle se confirme, de ce que les Français prennent plus au sérieux la situation politique du pays que leurs dirigeants.
Si tel est bien le cas, les élections législatives pourraient alors donner lieu à un nombre significatif de triangulaires possibles (*) RN / NFP / Macron. Ce ne sera sans doute pas assez pour sauver la future ex-majorité présidentielle d'une inexorable et méritée fessée électorale. Mais cela nous permettrait au moins, nous les électeurs raisonnables, de refuser le piège terrible que l'arrogance aveugle de l'arroseur arrosé nous aura tendu.
S'il ne restait qu'un argument à opposer à tous ceux (dont je fais partie) que le feuilleton politique de ces derniers jours écœure, c'est bien celui-là : seule une participation forte des électeurs peut, peut-être, encore sauver ce qui reste sauvable, en espérant qu'enfin Macron aura compris la leçon. Mais cela suppose que dès le 30 juin, nous soyons nombreux à dépasser notre exaspération et soutenir les candidats macronistes. Oui, je sais... Mais rarement sans doute notre pays aura eu autant besoin de la mobilisation de chacun de nous.
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(*) petit rappel sur notre loi électorale. Aux législatives, si aucun candidat ne recueille 50% des suffrages exprimés au premier tour, un second tour a lieu. Peuvent y participer non seulement les deux candidats arrivés en tête au premier tour mais aussi tous les candidats qui ont obtenu au moins 12,5% des électeurs inscrits au premier. Avec 50% de participation (comme aux européennes), il faudrait donc faire au moins 25% des exprimés pour pouvoir se qualifier au second tour : peu de triangulaires possibles. Mais plus la participation grimpera (les sondeurs parlent aujourd'hui de plus de 60%), et plus le seuil à franchir s'abaissera, rendant possible la qualification pour le second tour d'un 3ème candidat. D'où l'importance du vote de chacun dès le 30 juin.