Vers le retour d'un sain parlementarisme ?
Je ne suis pas de ceux qui pronostiquent le chaos au lendemain des législatives. Je trouve d’ailleurs la communication présidentielle à ce sujet assez puérile et même offensante pour le bon sens des Français et leur attachement à la démocratie. Car quel que soit le résultat, les Français auront choisi leurs représentants et je nous fais toute confiance pour refuser ensuite l’inacceptable, d’où qu’il vienne, si la menace se précisait.
Mais, quel que soit ce résultat, nous entrerons le 8 juillet dans une période politique qui, de toutes façons, sera fondamentalement différente de celle que nous venons de connaître et c’est à ce sujet que j’aimerais consacrer cette chronique.
Projetons-nous un peu : qu’il y ait ou non une majorité absolue qui se dégage le 7 juillet et quelle qu’elle soit, le nouvel exécutif gouvernemental sera soumis à une double pression.
La première viendra des Français eux-mêmes. C’est bien dans l'impuissance publique que prend sa source l'inexorable montée des populismes de tous poils depuis des années : l’action publique n’est jamais conforme aux engagements pris et semble n'avoir aucune prise sur les faits.
- D’abord parce que les promesses électorales largement distribuées avant l'élection s'évaporent le lendemain sous l'impact des contraintes du réel, oubliées et même délibérément masquées durant la campagne.
- Ensuite parce que les citoyens n’en peuvent plus de textes de loi votés dans l’enthousiasme des beaux discours qui n’ont jamais (ou si peu) de traduction concrète dans leur vie. Les nouveaux dirigeants seront confrontés à ce phénomène nouveau : les citoyens veulent des ré-sul-tats !
La seconde pression qui s’annonce viendra de l’extérieur. Elle est multiple.
- L’environnement européen d'abord dont on oublie de nous dire à quel point, s’il nous contraint, il nous protège intensément aussi.
- Les organismes prêteurs ensuite. En 2024, la France va emprunter, -record historique qui devrait inciter Macron et Le Maire à un peu plus de modestie- 285 milliards d’euros ! Qui peut sérieusement imaginer que ces prêteurs ne pèseront pas sur nos choix futurs ?
- Tous les évènements aussi inattendus qu’imprévisibles qui surviendront, comme ils ont bousculé notre quotidien récent (Covid, Ukraine, etc…).
- Les changements dont nous savons qu’ils vont assurément survenir : je pense au changement climatique, aux bouleversements démographiques, aux évolutions technologiques. Nous savons qu’ils arrivent mais, curieusement, il ne figurent jamais (ou si peu) au cœur des débats des campagnes électorales.
Face à toutes ces pressions, on peut toujours rêver à un homme providentiel ou à quelques recettes miracles qui, comme par magie, les feraient disparaître. Pêle-mêle, une Marine Le Pen ou son pendant à gauche ou au centre, l’expulsion des étrangers ou l’abandon à brève échéance des énergies fossiles : ces slogans qu’on nous sert ne sont que des fariboles, des histoires pour enfants.
Suis-je en train de dire que l’issue des législatives serait sans importance ? Je dis l'inverse ! Mais je dis aussi que quel que soit le résultat le 7 juillet au soir, l’action publique n'échappera plus à une triple exigence nouvelle : mieux expliquer, co-construire avec les citoyens et les pouvoirs intermédiaires et évaluer l’impact des décisions. Derrière ces simples mots, une véritable révolution culturelle pour tous nos dirigeants…
Une telle mutation ne pourra venir, je le crois, d’un seul camp ni d’un seul homme. Le temps arrive où devra enfin se réaliser la conjonction des bonnes volontés, c'est-à-dire la construction collective d'un programme de gouvernement dans lequel chacun apportera sa contribution et acceptera celle des autres. C’était d’ailleurs bien le projet annoncé en 2017 par Emmanuel Macron. Hélas, les promesses ont vite laissé place à une gouvernance verticale et solitaire comme jamais.
Je me prends donc à rêver qu’à la faveur de ces législatives, le pouvoir réel glisse de l’Elysée à Matignon et, de fait, de Matignon au Parlement. Ce n’est pas seulement un rêve : à la faveur des soubresauts électoraux du moment, la presse regorge de rappels utiles sur les pouvoirs réels du Président de la République. Celui-ci doit moins son omnipotence au texte de la Constitution lui-même qu’à la passivité de ses soutiens, la complicité de la cour qui l'entoure et l'usage qu'il fait de ses pouvoirs constitutionnels.
Emmanuel Macron l’a-t-il (enfin) compris ? Il semble que oui. Il aurait même compris qu'il devait se faire discret ces temps-ci, contrairement à ses projets initiaux. Jupiter, surpris à la fois par la reconstitution express de la coalition de gauche et la solidité de la préparation électorale du RN, aurait fini par comprendre que le temps de sa superbe solitaire était derrière lui et qu’une cohabitation -y compris face à ses propres troupes si elles demeuraient majoritaires- allait lui être imposée. S’il a vraiment compris ça, alors peut-être Emmanuel Macron endossera-t-il véritablement, in fine, le costume de Président.
C’est sur cette idée que se formera mon vote les 30 juin et 7 juillet prochains : au premier tour, je soutiendrai le candidat de la majorité présidentielle actuelle quel qu’il soit, parce que c’est encore autour de cette famille que les espoirs les plus sérieux d’un rassemblement raisonnable et utile au pays pourront se forger demain, sans arrogance cette fois-ci. Et si d’aventure, ce candidat ne figure pas au second tour, je voterai sans hésitation pour le candidat du « Front Populaire », sauf si (et seulement si) il s’agit d’un affolé complet : il y en a quelques-uns, mais beaucoup moins qu’on le dit parfois… Dans un tel cas, je voterais blanc.
Et dès le 8 juillet, je guetterai avec intérêt les signes de cette fameuse recomposition, réclamée depuis si longtemps par les Français mais jamais mise en œuvre : il se pourrait bien que l'histoire -et le vote citoyen- contraigne cette fois-ci nos dirigeants à faire enfin ce que nous attendons d'eux. Les intentions de vote actuellement recueillies semblent d'ailleurs montrer que les Français ont bien l'intention, en 2024 comme en 2022, de ne déléguer leur pouvoir qu'avec parcimonie et un sens aigu du partage : c'est ce qui peut nous arriver de mieux.
Aux futurs élus cet avertissement : ils ont à peine 3 ans devant eux pour faire la démonstration aux citoyens qu'ils ont enfin compris. Au-delà...