La sortie de crise : cohabitation ET coalition ?
Passés les coups de menton et les claquements de porte du Vaudeville parlementaire du mois de juin, l’été et les JO jouant leur capacité de mobilisation des esprits, la situation politique française est à peu près « stabilisée » pour quelques jours encore. Malgré cela, il faut mettre un mot sur la chose : nous vivons une crise politique assez rare dans l'histoire de la Vème République. C'est pourquoi cette période estivale, calme en apparence, n'est pas celle des vacances des politiques qui vont devoir très bientôt arbitrer entre deux scénarii pour la rentrée.
Deux scénarii -et seulement deux- sont en effet possibles : soit les formations politiques refuseront toute entente parlementaire et se cantonneront dans leur bloc respectif, soit elles accepteront de s’engager, sous une forme ou une autre, dans une coalition.
Premier scénario : statu quo à l’intérieur des blocs. Dans cette hypothèse, aucune solution politique stable ne peut être envisagée car aucun des 3 blocs ne dispose ni d’une majorité absolue ni même d’une majorité relative suffisante : la coalition des deux autres (à la faveur d’un vote de confiance ou de l’adoption du budget) renverserait tout gouvernement seulement issu d’un des 3 blocs. Ce scénario de la radicalité n'est pas le moins probable : en effet, les états-majors des partis ont le regard tourné vers les prochaines élections présidentielles (2027) et municipales (2026), voire même les législatives que le Président pourrait déclencher dès juillet 2025 s’il le jugeait opportun.
Dans ces perspectives, aucun des deux blocs, RN et LFP, ne veut sortir de son pré carré : ni le RN qui lorgne vers la prochaine présidentielle où Marine le Pen pourrait arriver favorite, ni la France Insoumise cornaquée par Jean-Luc Mélenchon qui espère, en bloquant le système, déclencher des présidentielles anticipées où, lui aussi, se voit possible favori. Quant aux députés les plus modérés du bloc de gauche, aucun ne veut assumer publiquement l'initiative de l’explosion (pourtant inévitable) du NFP.
Ce scénario du blocage, n’est donc pas le plus improbable. Il amène, on l’a vu, à une impasse politique totale dans laquelle pourraient se succéder des gouvernements renversés au bout de quelques semaines, voire quelques jours. Tout cela pourrait-il aller jusqu’en juillet prochain ? Et pour quel résultat alors ? Nul ne le sait au juste.
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Second scénario : celui d’une coalition-cohabitation. On l'appelle pacte, entente ou accord au sein du Parlement qui pourrait ou non se traduire par un gouvernement élargi aux membres de cet accord. Le contour d’une telle coalition est connu de tous : il passe obligatoirement, compte-tenu du rapport des forces en présence, par le rassemblement des forces du bloc central augmenté des parlementaires Républicains complété par des élus venus de la gauche.
Pourquoi le bloc central ? Même considérablement affaiblie depuis la dissolution surprise, l’ex-majorité présidentielle demeure un poids lourd de l’Assemblée : Macronistes, Bayrouistes et Philippistes réunis comptent encore 166 députés à eux seuls, soit plus que le RN (142). Il n’y a pas de coalition possible sans qu’ils y soient associés.
Pourquoi les Républicains sont-ils eux aussi incontournables ? D’abord par leur force résiduelle à l’Assemblée : dans un hémicycle émietté comme jamais, leurs 47 députés, s’ils ne suffisent pas à constituer une majorité, sont une force d’appoint non négligeable. Mais la force des LR réside aussi dans leurs 132 sénateurs dans le vote de la loi. Il ne peut donc pas y avoir d’accord parlementaire de gouvernement sans les LR, d’autant que les lignes idéologiques qui séparent ces deux familles se sont considérablement réduites au fil du temps.
Pourquoi faut-il aussi des élus venus de la gauche dans cette coalition ? Parce que sans eux, il n’y a pas de majorité assez solide : en effet en additionnant les députés LR à ceux du bloc central, on obtient tout juste 213 députés, loin de la majorité absolue. D’autant que dans l’hypothèse d’un pacte avec LR, il n'est pas exclu que la partie gauche de l’ex-majorité présidentielle et la partie la plus à droite des LR retrouvent leur liberté de vote. Voilà pourquoi une coalition à l’Assemblée nécessite d’y rallier aussi des députés venus de la gauche. Or, on a vu que cela ferait peser sur leurs épaules la responsabilité publique de l’explosion du NFP.
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Mur idéologique infranchissable ? Au-delà de l’arithmétique parlementaire, existe-t-il un mur idéologique infranchissable entre le bloc central, les LR et les socio-démocrates ? Non. Il y a bien sûr des différences qui nécessiteraient qu’en cas de coalition, chacun sache faire un pas vers l’autre. Mais on pourrait sans difficulté lister les différends de fond qui opposent le PS et LFI et qui, pourtant, ne les ont pas empêchés de nouer un accord électoral puis un programme de gouvernement. Pourquoi ce qui s’est fait d’un côté ne pourrait pas se faire de l’autre ?
Macron ? Reste Emmanuel Macron. Il a braqué et déçu tellement de monde depuis 7 ans qu'il est devenu le principal frein au rassemblement. Il incarne pourtant par sa fonction une stabilité institutionnelle qui ne sera pas de trop dans la période à venir. Encore faudrait-il qu’il sache prendre la pleine mesure de cette cohabitation inédite sous la Vème République qui arrive et dans laquelle l'essentiel de l'initiative politique lui échappera, malgré la présence de ses amis politiques au sein de ce rassemblement. Pour l'instant, le Président fait comme s'il avait encore la main. Or, il ne l'a plus ou du moins, plus tout seul...