A propos de la Grèce
Comme tous les citoyens d'Europe, et comme bon nombre d'économistes hors de nos frontières communes, j'ai assisté, médusé, aux débats politiques intérieurs de la Grèce ces derniers jours. A en croire les dernières dépêches, l'idée même du référendum aurait du plomb dans l'aile...
Ces atermoiements, ces aller-retours du gouvernement grec, ces hésitations pourraient susciter bien des réactions méprisantes sur ces PIIGS (*) décidemment indécrottables. Et il n'y aurait pas que du faux.
Mais à bien y réfléchir, la situation grecque suscite chez moi deux autres réactions :
1. il n'y a pas que la Grèce à éprouver, dans cette crise, des difficultés de gouvernement
Souvenez-vous du parlement slovène qui, il y a quelques semaines, avait rejeté le plan européen de sauvegarde de l'Euro : à lui seul, il aurait pu bloquer le dispositif douloureusement mis au point par les gouvernements ! Il a du opérer savamment un rétro-pedalling qui a du blesser quelques légitimités démocratiques en Slovénie...
Souvenez-vous aussi de la fragilité de Berlusconi, contraint à de nouveaux renoncements intérieurs devant ses alliés de la Ligue du nord, pour faire accepter les mesures de redressement économique auxquelles son pays est contraint, compte-tenu de son endettement.
Mais, plus surprenante à nos yeux français est la situation d'Angela Merkel : à entendre les chroniqueurs, elle aurait dominé de la tête et des épaules les plus récentes rencontres européennes et serait parvenue à imposer ses vues à ses partenaires, à commencer par Nicolas Sarkozy.
Incontournable, la "Kaiserin" ? Voire ! La Chancelière éprouve elle-même d'insondables difficultés internes et sa coalition CDU-CSU-FDP s'avère plus fragile que l'image internationale le laisse à penser.
Comme les autres dirigeants européens, A. Merkel est contrainte de passer sous les fourches caudines de ses alliés au sein desquels s'élèvent, de plus en plus fortes, des voix pour dire que le prix à payer pour l'Euro est bien lourd... Le petit parti libéral FDP, notamment, lui en fait voir des "vertes et des pas mûres".
Je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'en ces temps pré-Présidentielle, les 7 ou 8 milliards d'économies supplémentaires que nous prépare François Fillon en France passe "comme une lettre à la Poste" au Parlement : n'oublions pas, notamment, l'alternance au Sénat qui ne va pas simplifier l'adoption du budget 2012...
Bref, si les chefs d'Etat réunis en sommet discutent, négocient, palabrent au sein de leur club, une fois de retour dans leurs pays respectifs, ils se heurtent à bien des difficultés.
Papandréou est probablement un premier Ministre fragilisé, mais il n'est pas le seul en Europe.
2. les difficultés des gouvernements nationaux imposent la mise en place d'une gouvernance européenne
Il n'est déjà pas simple de parvenir à un accord entre chefs d'Etat, d'autant que l'Euro-group n'est qu'un sous-ensemble de l'Union et que les autres chefs d'Etat veulent être entendus, bien que leur pays ait conservé sa monnaie d'origine (exemple : les Anglais qui expliquent, non sans raison, que les mesures des pays de l'Euro-group pèsent aussi sur les autres pays européens).
Mais si les accords noués au bout de la nuit, les yeux cernés de fatigue, par les chefs d'Etat et de Gouvernement sont susceptibles d'être remis en cause par des coalitions gouvernementales instables ou fragiles, alors nous ne sommes pas prêts d'assister au rétablissement de la zone Euro, j'en ai peur...
Est-ce à dire que nous devons abandonner toute ambition dans ce domaine et laisser sortir la Grèce, puis d'autres "PIIGS", de la zone Euro ? Je pense que nous ferions une erreur historique qui, pour le coup, plomberait durablement l'avenir de nos économies.
Mais les difficultés nationales -et pas qu'en Grèce- me font dire que nous avons à revoir au plus vite l'organisation politique de l'Europe, pour que les décisions prises par les chefs d'Etat puissent être considérées comme acquises.
Si nous ne parvenons pas, par exemple, à doter l'Euro-group d'une légitimité à décider en notre nom, alors ce sont les marchés financiers qui vont gouverner l'Europe.
Ce qu'ils ont commencé à faire...
Il y a là un joli sujet de débat pour la prochaine présidentielle qui mériterait que le Nouveau Centre, à la pointe depuis toujours dans le combat européen, fasse entendre sa voix et ses propositions.
PIIGS : (cochons, en anglais) surnom donné par les pays du nord de l'Europe au Portugal, à l'Irlande, l'Italie, la Grèce et l'Espagne (Spain) suspectés d'être les membres indolents et irréfléchis d'un "Club Med" en Europe qui "se la couleraient douce", pendant que les pays anglo-saxons du nord, eux, auraient su faire sur eux-mêmes les efforts de réforme et de rétablissement de leurs comptes publics. Vision pas tout-à-fait fausse certes, mais terriblement méprisante et fort éloignée de l'idéal européen de solidarité...
Une sorte de réécriture, version 2012, de "La Cigale et la Fourmi".