A propos du vote des étrangers

Publié le par Bernard LUSSET

 

J'ai participé récemment à un débat public organisé à la Maison de l'Europe par l'association AMARE et 47 FM, consacré au droit de vote des étrangers. Débat intéressant organisé dans un cadre favorable à la réforme, mais tolérant à l'égard de ceux qui, comme moi, s'opposent à la réforme annoncée par le chef de l'Etat. Cette émission pourra être réécoutée sur le site de 47FM.

 

C'est une initiative d'autant plus louable que tout ce qui touche à l'étranger est devenu chez nous un sujet quasi-tabou, tant il est préempté par des positions radicales. Bravo donc à AMARE et 47FM d'avoir organisé ce débat ouvert et merci à la Maison de l'Europe d'Agen de l'avoir accueilli.

 

Mettant mes idées au clair au lendemain de ce débat, je retiens 6 idées simples :  

 

 

1. le coeur du sujet : droit de vote = droit de l'homme ?

 

Une fois débarrassé de ses oripeaux idéologiques, le débat "pro" ou "anti" droit de vote des étrangers est réduit à la question suivante : le droit de vote est-il un droit de l'homme, une liberté fondamentale pour chaque être humain, ou bien est-il légitime de l'attacher à l'appartenance nationale et donc de le réserver aux seuls ressortissants français ?

 

Les tenants de l'universalité de ce droit ne manquent pas d'arguments : la moitié environ des états membres de l'Union européenne accordent peu ou prou ce droit aux étrangers sous conditions de résidence. Ces mêmes étrangers disposent déjà chez nous de nombreux droits civiques et sociaux et sont soumis à de nombreux devoirs. Enfin, il est concevable qu'un tel droit de vote pourrait être un accélérateur d'intégration.

 

Mais les opposants -dont je suis- ne manquent pas non plus d'arguments : le droit de vote chez nous est un des marqueurs d'appartenance à la communauté nationale ; ceux des étrangers qui résident chez nous et souhaitent voter peuvent le faire après avoir obtenu la nationalité française. C'est une autre forme de parcours d'intégration qui a, au moins, le mérite de ne pas "saucissonner" le droit de vote, alors que dans les projets de loi actuels, les étrangers ne disposeraient que d'un droit de vote limité aux seules élections locales.

 

 

2. derrière le coeur, le décor : une vaste opération politique

 

Comme ça a été rappelé, ça fait 40 ans que la gauche, à chaque élection, promet d'élargir ainsi le droit de vote. C'est même devenu un symbole, un signe de ralliement, une concession faite à la gauche de la gauche, élection présidentielle après élection présidentielle. Mais ça fait aussi 40 ans que la même gauche, une fois élue, y renonce pour diverses raisons parmi lesquelles l'absence de majorité suffisante au Congrès (Assemblée nationale + Sénat).

 

Or, malgré la courte avance de la gauche au Sénat, il n'y aura sans doute pas 3/5èmes des parlementaires (majorité indispensable) pour approuver la réforme de la Constitution et François Holande le sait : on est donc là dans le symbolique destiné à ragaillardir, provisoirement et à peu de frais, une majorité de gauche mal en point, rien de plus.

 

 

3. l'exception européenne

 

Depuis le Traité de Maastricht de 1992, les ressortissants des pays membres de l'Union peuvent voter aux élections locales chez nous, même si très peu y participent. Un talentueux anthropologue (plus d'infos) présent au débat de 47FM-AMARE a joliment parlé "d'étrangers à part entière et d'étrangers entièrement à part" pour stigmatiser la différence de traitement ainsi générée entre les étrangers de l'UE et les autres. 

 

Au-delà de la formule plaisante, c'est faire bien peu de cas du projet politique européen ! Les peuples membres de l'UE élisent ensemble leurs représentants à notre parlement commun, le Parlement européen. C'est donc au nom de notre appartenance à une même communauté politique que le traité de Maastricht a utilement ouvert ce droit de vote. Extrapoler cette exception au bénéfice des étrangers non européens n'a pas grand sens à mes yeux.

 

 

4. qui le veut ?

 

Il existe sans doute des étrangers vivant chez nous qui souhaiteraient participer aux rendez-vous électoraux : je ne le conteste pas. Mais je vois surtout des ressortissants étrangers désireux de devenir pleinement citoyens au travers de la nationalité. Je connais aussi de nombreux étrangers qui, pour des raisons parfaitement respectables d'ailleurs, préfèrent conserver leur nationalité d'origine : à eux, je dis tranquillement que, dans ces conditions, le droit de voter ne doit pas leur être accordé. On voit bien, en tout cas, qu'un élargissement automatique du droit de vote à tous n'aurait pas de sens.

 

Lors du débat, il est de nouveau apparu clairement chez les tenants de cette réforme qu'il s'agit plus pour eux d'une question de principes, d'idéaux, de valeurs, que de répondre concrêtement à des demandes massives. Comme me le faisait remarquer le constitutionnaliste (plus d'infos) également présent à ce débat, vouloir une réforme pour des questions idéologiques ou philosophiques n'est pas honteux. Certes, mais ambitionner de répondre à l'aspiration réelle d'un peuple non plus...

 

5. sommes-nous prêts ?

 

J'étais dans ce débat face à un public convaincu que le droit de vote est une liberté fondamentale que les politiques devraient imposer. Dans ce contexte, poser la question de l'acceptabilité sociale d'une telle réforme aurait pu passer pour une provocation, mais le public présent a, je crois, compris l'esprit de ma remarque : je pense que, même 40 ans après les premières annonces, notre pays n'est pas du tout prêt à une telle réforme.

 

Il suffit pour s'en convaincre de regarder les résultats du second tour des législatives de Villeneuve sur Lot et de constater que le Front national a fait ses meilleurs scores au sein même d'une France par ailleurs plutôt préservée des grandes inquiétudes du moment : pour ne prendre qu'un exemple parmi bien d'autres, le canton de Laroque Timbaut est un canton rural, de 2ème ou 3ème ceinture urbaine, sans incivilités ni violences ni traumatismes particuliers. Mais cette France-là doute terriblement, perd ses repères et ses espérances. Cette France-là a placé le candidat du FN en tête : faut-il vraiment en rajouter, avec une réforme qu'on voudrait principalement symbolique ? Je fais partie clairement partie de ceux qui répondent non.

 

6. du courage en politique

 

C'est l'argument auquel je suis le plus sensible intellectuellement : les responsables politiques doivent savoir, parfois, aller contre l'opinion générale pour imposer des réformes douloureuses sur le moment mais qui finissent par trouver leur place. Droite et gauche ont su faire ça dans le passé : je pense à l'abolition de la peine de mort ou la récente réforme du mariage pour la gauche. Je pense à la loi Veil ou à la réforme des retraites pour la droite. L'élargissement du droit de vote aux étrangers relève-t-il de cette exigence de courage politique ?

 

Je ne le crois pas, parce que je ne crois pas que nous soyons là en face d'un mouvement irrépressible de l'Histoire. Sans doute que l'idée nationale s'estompera dans les décennies à venir en Europe, au profit d'une fédération que j'appelle de mes voeux, dès lors que nous la doterons des outils démocratiques indispensables. Mais avant que cette atténuation de l'idée nationale joue vis-à-vis de l'extérieur de l'UE, il se passera un temps considérable... qu'aucun des acteurs du moment ne verra, j'en ai la conviction.

 

 

 

Publié dans on en parle à Agen

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