commande publique & préférence locale
La presse relate ces jours-ci l'information selon laquelle la SNCF a choisi un prestataire américain pour s'équiper de terminaux portatifs de paiement. Immédiatement, le n°2 du Front National, (vous savez, le-conjoint-de-la-présidente--du-FN-qui-est-aussi-son-assistant-parlementaire-à-mi-temps-mais-à-5000-euros-par-mois) monte au créneau pour s'insurger de voir une entreprise publique ne pas choisir un prestataire français. Et voilà le café du Commerce en pleine ébullition, alimenté par tous les démagos disponibles et tous ceux qui parlent sans savoir : ça fait du monde...
Qu'en est-il au juste ?
Le fait de privilégier un prestataire plutôt qu'un autre, au motif qu'il serait proche géographiquement, est une infraction à nos règles de marchés publics. Ou, pour le dire autrement, on ne peut écarter d'un marché public un prestataire, au motif qu'il serait localisé hors de la commune, du département ou du pays. Comme élu municipal, cette règlementation me fait parfois bondir parce qu'engageant l'argent des contribuables agenais, il me semblerait légitime, à niveaux de prix et de prestation équivalents, de pouvoir privilégier dans les marchés de la Ville les entreprises locales, du fait même qu'elles sont implantées localement. Mais c'est interdit et c'est sans doute ce qui s'est passé à la SNCF avec ces terminaux.
Cette affaire est la traduction de l'état d'esprit très libéral qui domine totalement notre règlementation. Et, au risque de surprendre ici, je le regrette, comme je peux le faire à chaque fois qu'on est passé d'un extrême à l'autre.
De la jungle à la sur-administration
Qu'on me comprenne bien : la règlementation actuelle n'est pas stupide. Il fut un temps, pas si lointain, où la mise en concurrence n'était qu'une aimable plaisanterie dans les marchés publics : avant même de lancer une consultation, on savait par avance qui serait attributaire du marché, avec tous les débordements qu'on peut imaginer et qui ont envoyé à l'ombre bien des élus et bien des chefs d'entreprises.
Puis la règlementation est venue mettre un terme, salutaire, à ces excès, en imposant une réelle mise en concurrence. Mais notre sur-administration, déjà maintes fois évoquée ici, nous a fait passer d'un extrême à l'autre, dans un univers technocratique où les décisions se prennent en fonction de "critères objectifs pondérés" : de véritables usines à gaz déshumanisées, dont je ne suis pas sûr, d'ailleurs, qu'elles nous mettent forcément à l'abri de certaines tentations ou de certains errements...
En tout cas, ces procédures, j'en suis le témoin régulier, dessaisissent les élus et interdisent toute priorité géographique. Voilà comment, même des élus sensibilisés à cette question comme nous le sommes à la Mairie d'Agen, se trouvent parfois devoir écarter des entreprises locales au profit de sociétés venues d'ailleurs.
Trouver un juste milieu ?
Il n'est évidemment pas question de créer pour les entreprises locales, quelles qu'elles soient, des rentes de situation : l'argent public mérite d'être utilisé au mieux, au plus juste prix pour la prestation la plus adaptée. Mais je revendique, comme élu local, le droit de pouvoir, en toute transparence et en toute légalité, privilégier des fournisseurs locaux qui, par leur contribution, alimentent les finances publiques locales, créent de l'emploi et de l'activité en Agenais : bref, contribuent à la dynamique locale. A tout le moins, ce type d'argument devrait pouvoir être intégré très officiellement, au moins pour les marchés publics les moins importants, jusqu'à un seuil qui reste à déterminer.
A refuser de toucher au dogme libéral qui nous gouverne, nous entretiendrons les bidouillages qui, à bien lire la presse, se poursuivent dans certains endroits avec des risques de malversations. Nous laisserons aussi courir la démagogie qui profite toujours aux mêmes avec leurs pseudo-solutions toutes faites. Enfin, nous favoriserons l'exaspération et l'incompréhension des PME qui se sentent, légitimement, peu considérées. D'ailleurs, on entend souvent les procès retentissants que se livrent, par exemple, Boeing et Airbus, s'accusant mutuellement de bénéficier d'une priorité de la commande publique dans les états d'où sont originaires ces groupes industriels. Preuve que même les états les plus libéraux comme les Etats-Unis mesurent, eux aussi, la nécessité d'intégrer la dimension locale dans leurs politiques de commande publique...
Voilà un thème intéressant pour la prochaine campagne pour les élections européennes de juin prochain : car cette règlementation, qui découle des accords mondiaux sur le commerce coordonnés par l'OMC, et qui est dominéé par le principe de "concurrence non faussée", est déclinée sur le continent, dans les mêmes termes, par l'Union européenne. Il ne s'agit pas de restaurer un protectionnisme dépassé comme fait semblant de le préconiser le FN mais d'intégrer la contribution des entreprises à la dynamique économique locale dans les critères de choix : où serait le scandale ?