Cumul des mandats : pourquoi je soutiens le gouvernement
Le Sénat vient de retoquer le projet de loi Valls contre le cumul d'un mandat de parlementaire (1) avec la responsabilité d'un exécutif local. C'est un nouveau camouflet pour le Gouvernement qui, décidemment, a un peu de mal à convaincre sa majorité du bien-fondé de sa politique...
Je le regrette d'autant plus que je soutiens le gouvernement dans sa volonté de mettre un terme à cette pratique très franco-française de cumul.
Le cumul est-il ce mal absolu que le poujadisme ambiant veut décrire ? Certainement pas : j'ai eu le privilège, huit années durant, d'être l'assistant parlementaire du Docteur Chollet, alors Député-Maire. J'ai vu de près tous les avantages qu'une petite ville comme Agen pouvait tirer de ce cumul, lorsqu'il est bien utilisé, face au jacobinisme parisien et la concurrence des métropoles. Je pourrais dire la même chose de Jean Dionis qui, jusqu'en 2012, a été un député-maire à la fois d'une rare efficacité dans le soutien aux projets agenais et d'une rare implication dans le travail législatif. A contrario, on voit que notre nouvelle députée s'illustre surtout par... sa discrétion, à Paris comme à Agen. Et cela, malgré son mandat unique !
Il faudrait ajouter que le cumul est un moyen -bricolé et non assumé- de compenser l'absence de statut des élus : il permet de rebondir d'un mandat sur l'autre pour sécuriser les parcours personnels ainsi que la rémunération des élus lorsqu'ils ne sont ni riches, ni retraités, ni fonctionnaires. Cette absence de statut, qui légitime en partie le cumul, explique aussi pourquoi il y a si peu de parlementaires issus des professions libérales, commerçants ou artisans, ce qui nuit certainement à la qualité de nos lois.
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Et pourtant, malgré ce qui précède, je suis favorable à l'interdiction pour un parlementaire d'exercer en même temps un mandat exécutif local comme le prévoit le projet du gouvernement. Et cela, pour trois raisons :
Le cumul des mandats bloque le renouvellement des générations
De mon point de vue, nul ne devrait exercer plus de 2 ou 3 mandats consécutifs parce qu'il faut, en politique comme ailleurs, savoir "décrocher" : au bout d'un certain temps passé à exercer les mêmes fonctions, l'élu devient plein de certitudes basées sur l'expérience acquise et s'imperméabilise.
Sans limites légales, certains professionnels trustent pendant des décennies les mêmes fonctions, rebondissant sur leur mandat restant après un échec pour mieux récupérer, la fois suivante, le mandat perdu. Certains arpentent ainsi les différents couloirs de la République élective depuis plus de 30 ans... Et je n'évoque même pas là les fonctions diverses accordées aux amis dans quelques "Hauts Bidules" de la République, pour compenser les plus mauvaises passes.
Le cumul des mandats éloigne du terrain
L'argument des sénateurs qui auraient besoin d'être également Maire pour percevoir les fameuses "réalités du terrain" n'est, de mon point de vue, qu'une triste blague. Comme si on pouvait percevoir ces réalités en passant 3 jours par semaine à la tête de son exécutif local, c'est-à-dire en y assurant les lourdes fonctions de gestion que cela représente.
La vérité, c'est que la vie d'un tel cumul vous fait sauter, à la descente de l'avion ou du train, dans votre bureau, présider 2 ou 3 réunions stratégiques en petit comité puis foncer à la prochaine inauguration où on voit souvent les mêmes, dire souvent les mêmes choses.
Le cumul des mandats favorise l'exercice solitaire du pouvoir
Comme ces élus qui cumulent ne sont pas des sur-hommes, leur secret tient dans leurs équipes rapprochées : collaborateurs, fonctionnaires, un ou deux élus à vos côtés : la tentation est forte de verrouiller le système. Pas terrible pour sentir les fameuses "réalités du terrain", même s'il existe quelques contre-exemples vertueux. Nul ne peut sérieusement contester que le cumul isole l'élu.
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A contrario, interdire le cumul parlementaire/exécutif local, c'est imposer le renouvellement des générations en politique, c'est permettre à chaque élu de se consacrer pleinement et personnellement à son mandat, c'est réinstaurer une vraie concurrence au sein des baronnies locales, c'est contraindre les élus à fonctionner en équipe et en réseau au-delà des appartenances politiques, c'est faire du parlement un véritable lieu de contre-pouvoir et, si ça se trouve, permettre une production législative de meilleure qualité. Or, l'instabilité législative est à l'origine de bien de nos difficultés.
La vie politique s'en trouvera-t-elle simplifiée ? Sans doute pas. Mais s'en trouvera-t-elle régénérée ? Assurément.
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(1) :
parlementaire = député, sénateur, député européen
exécutif local = Maire, Président de Communauté, Président de Conseil général, président de Conseil régional .
Si le Sénat a voté le texte du gouvernement, il l'a modifié pour exclure les sénateurs du champ de son application...