Hausse des carburants : pour y voir plus clair
Je me souviens d'un temps (que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître...) où on traitait d'illuminés les farfelus qui pronostiquaient le litre d'essence à... 10 francs. "Jamais, disait-on à l'époque, les automobilistes ne seront assez idiots pour accepter de payer un tel prix !"
T'as raison ! Depuis le début de l'année, les "10 francs", c'est-à-dire les 1,52 € sont allègrement dépassés (1,56 € le litre cette semaine sur l'autoroute). Et ressurgit l'idée, déjà mise en oeuvre sous Jospin, d'une action des pouvoirs publics pour réduire le coût des carburants : entre "gel" des prix et "TIPP flottante", les débats sont relancés, qui donnent lieu, cette semaine, à moultes déclarations gouvernementales apaisantes, à commencer par celle du premier Ministre hier soir.
J'ai eu la curiosité de chercher à comprendre de quoi était fait le prix du litre de gasoil que je mets dans ma voiture. Aïe ! Je vais, tout de même, essayer de restituer ici les informations obtenues, en espérant de ne pas commettre d'erreur majeure (et en vous suggérant vivement de vous procurer votre aspirine effervescente UPSA préférée, en cas de début de migraine).
C'est parti :
Au début, il y a le pétrole brut
En plus des coûts d'extraction eux-mêmes (entre 10 et 40 $ le baril, ce qui fait, avec un baril = 160 litres, que le pétrole brut lui-même ne représente qu'entre 6 et 25 centimes du litre payé à la pompe...), les compagnies s'acquittent des taxes locales (entre 30 et 90 %). Le pétrole ainsi produit est soumis aux aléas des marchés (New York, Londres et Dubaï), en fonction de l'évolution mondiale de la demande.
Puis vient le raffinage
Là aussi, aux coûts techniques s'ajoutent les aléas des marchés qui traduisent les évolutions de la demande régionale. A titre indicatif, on considère que les hausses de cette année 2012 trouvent leurs explications successives par la femeture de raffineries de la côte Est des Etats-Unis, le passage à la qualité "été" des essences en Europe (??), l'augmentation saisonnière estivale de la demande aux USA (il parait qu'on appelle ça là-bas la driving season), la demande croissante des pays émergents, la baisse des stocks commerciaux non stratégiques en Europe, etc...
Le raffinage, dans ce contexte, représente environ 14 € la tonne qui constitue, bizarrement, un niveau historiquement bas (depuis le même creux de 2002), traduisant, disent les observateurs, les difficultés du raffinage en Europe et en France : sans doute pas beaucoup de grain à moudre de ce côté pour le gouvernement Ayrault...
Enfin le transport et la distribution
Ce poste couvre les dépenses de logistique (stockage, transport et frais de commercialisation) et reflètent les niveaux locaux de concurrence. En 2011, ces marges représentaient entre 9 et 12 cts d'euro le litre, bien inférieures, dit-on, aux moyennes constatées dans le reste de l'Union européenne : on voit mal quelles marges pourraient être dégagées ici aussi, en-dehors d'opérations commerciales ponctuelles bien médiatisées. Le Journal Sud Ouest a publié récemment un très intéressant article sur la comparaison du prix à la pompe des carburants dans la région.
Avant la consommation, les taxes
Le pétrole, ainsi raffiné puis distribué, s'acquitte, avant de tomber dans votre réservoir, de 2 taxes françaises :
- la TICPE (Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Energétiques) qui a succédé à la fameuse TIPP, disparue en 2011.
- la TVA (19,6 %), bien connue par ailleurs.
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Au final...
Votre litre de gasoil est ainsi composé :
- 38 % représentent le coût d'extraction du pétrole brut
- 7,4 % au titre du raffinage
- 7 % pour le transport et la distribution
- le reste, soit environ 48 %, étant constitué des taxes françaises. Il s'agit d'une ressource majeure (plus de 22 milliards d'€ en 2009, soit la 4ème plus importante recettes de l'Etat)
Sommes-nous les plus mal lotis ? La carte ci-dessous des prix pratiqués en Europe semble nous situer dans une relative moyenne :
Le Gouvernement peut-il faire quelque chose ?
Si j'en crois les promesses du candidat Hollande, la réponse est "oui" ! Souvenez-vous, l'ex-candidat était (beaucoup) plus affirmatif en campagne que ne l'est aujourd'hui son premier Ministre. Quand Hollande promettait un "coup d'arrêt" à la hausse des carburants, Jean-Marc Ayrault, lui, n'a promis qu'une mesure "symbolique" (entre 2 et 4 centimes, aux dernières nouvelles ?). Tiens donc...
Et une promesse de plus à ranger dans le grand placard des attrapes-couillons du printemps 2012...
A quoi faut-il s'attendre et que faut-il souhaiter ?
Laissons tomber les promesses sans lendemain qui, espérons-le, ne tromperont plus personne (les sondages laissent à penser que les Français ouvrent les yeux...un peu tard).
On nous l'explique sur tous les tons depuis 40 ans : les prix des carburants ne vont pas cesser de grimper sous la double influence à la fois de la rareté croissante (si on peut dire ça comme ça...) de la ressource et, d'autre part, l'explosion de la demande dans les pays émergents. Et encore faut-il espérer qu'aucun évènement dramatique au Moyen Orient ne viendra accentuer encore cette hausse inévitable. Sans quoi...
Donc, les consommateurs vont faire comme d'habitude ! Ils vont râler... et s'organiser :
- La consommation des véhicules va redevenir un critère-clé du choix des véhicules
- Les véhicules électriques vont devenir autre chose qu'un gadget, en tout cas dès que les constructeurs voudront bien sérieusement s'y mettre (attention les Peugeot et Renault : les constructeurs asiatiques, là aussi, ont de l'avance !)
- Le co-voiturage va se multiplier, notamment sur les trajets domicile-travail
- Le recours aux transports en commun va augmenter, notamment dans les coeurs de ville.
Bref, Hollande ou pas Hollande, le prix des carburants va continuer de monter. Et les mesurettes qu'on nous annonce cette semaine, après 2 jours d'agitation médiatique, n'y changeront rien. Il aurait seulement fallu ne pas promettre n'importe quoi...
J'espère que, ça au moins, vous l'aurez compris !