Hollande élu : l'omni-président remplace l'hyper-président
Les Français, majoritaires, en ont ainsi décidé : François Hollande est désormais Président de la République, pour cinq ans.
Ainsi s'achève une campagne intense à l'image du débat du second tour, une campagne marquée, au-delà du résultat lui-même de ce soir, par quelques particularités :
> le niveau record atteint par le FN, qui n'a sûrement pas dit là son dernier mot, autour de son leader qui n'a que 44 ans
> la résurgence inattendue du parti communiste, relooké version "Front de gauche", une spécificité française en Europe, 23 ans après la chute du mur de Berlin
> l'effondrement du candidat écologiste, une anomalie de l'histoire quand on songe aux tsunamis climatiques, environnementaux et énergétiques qui se profilent à notre
horizon,
> l'absence de candidat de centre-droit au premier tour, une absence qui aura sans doute fait défaut, au second tour, à celui-là même qui a tout fait pour être le candidat
unique de sa famille : un comble,
> un débat monopolisé par quelques grands thèmes ultra-médiatisés, mais qui aura, pour l'essentiel, laissé de côté bien des sujets majeurs (politique de santé, construction
européenne, aide au développement des pays du sud, politique culturelle, grands projets d'infrastructures, et j'en passe...)
un "hyper-candidat" président sortant, qui a transformé l'élection en référendum personnel qu'il a perdu, alors que l'histoire, j'en suis convaincu, portera un jugement très
positif sur son action face aux crises.
La situation née de ce second tour n'est pas commune puisque François Hollande et sa majorité détiennent désormais toutes les clés du camion France :
le pouvoir exécutif, dirigé par le Président de la République qui va nommer le premier Ministre et les membres du gouvernement,
le pouvoir législatif, avec le Sénat à gauche depuis septembre dernier et, vraisemblablement, l'Assemblée nationale qui devrait, logiquement, être dominée en juin par le parti
socialiste et ses alliés,
le pouvoir territorial, puisque régions, départements et grandes villes sont, très majoritairement, gouvernées par des exécutifs de gauche
le pouvoir syndical, à l'image du secrétaire général de la CGT lui-même qui a appelé à voter François Hollande, sans parler des autres qui, plus discrètement, ont majoritairement
et comme toujours, mobilisé leurs troupes en faveur d'un vote de gauche
le pouvoir médiatique, tant ces derniers mois ont été marqués par une volonté convergente des "élites" parisiennes, patrons de presse, commentateurs de tous poils, journalistes,
amuseurs publics, de renvoyer Nicolas Sarkozy à de nouvelles aventures extra-élyséennes
le pouvoir politique, François Hollande ayant réussi le prodige, par son talent, de rassembler sur son nom et sa candidature, toutes les sensibilités qui traversent
-et divisent- le parti socialiste : il s'est imposé à eux comme le patron, sans parler du reste de la gauche qui, de sa branche la plus modérée à sa branche la plus extrémiste (sans que personne
ne s'en émeuve...) a fait allégeance au candidat opposé à Sarkozy.
le pouvoir politique (2), car il ne faut pas être grand clerc pour imaginer les turbulences diverses qui vont traverser et sans doute fragiliser la toute nouvelle opposition,
subitement privée de son leader et confrontée à des hypothèses de recompositions qui seront autant de nouvelles lignes de clivages internes. Sur ce sujet, les conséquences du ralliement
improbable et in extremis de Bayrou à Hollande ne sont qu'un des nombreux sujets de tiraillement qui vont traverser notre famille politique...
Aussi loin que je fasse remonter ma mémoire, je n'ai pas le souvenir que la Vème République ait connu pareille concentration de tous les pouvoirs entre les mains d'un même homme : la gauche a
tous les leviers, comme jamais personne avant elle.
Naturellement, une telle situation au bénéfice de la droite ferait pousser des cris d'orfraie aux bien-pensants, sociologues et autres politologues. Mais comme cette concentration favorise la
gauche... Pourtant, cette concentration des pouvoirs, inédite depuis 60 ans, ne peut qu'inquiéter : en l'absence de contre-pouvoir, le risque est grand que tout pouvoir -celui-là
ou un autre, le passé l'a montré- commette beaucoup d'erreurs. C'est dire que nous entrons ce soir dans une ère nouvelle, qui va durer longtemps.
La seule "fenêtre de tir" qui va se présenter aux Français, dans 5 semaines, sera l'élection législative des 10 et 17 juin.
Parler dès ce soir des législatives, quand la saturation électorale nous gagne, un peu après ces présidentielles ? Oui, car il se pourrait bien que dans 5 semaines, déjà, la concentration des
pouvoirs entre les mains d'un même parti se fasse pesante... Sans parler de ce que nous en penserons dans quelques mois ou quelques années !
Les législatives ne seront pas un "match retour" revanchard de la présidentielle : elles seront notre dernière chance avant longtemps, de ré-équilibrer, un peu, les pouvoirs au sein
de nos institutions.
Ne passons pas à côté de ce rendez-vous majeur.