Simplification : vers la prise de conscience ?

Publié le par Bernard LUSSET

L'entretien publié aujourd'hui dans "L'Express" (lire l'interview) d'Alain Lambert, ancien Ministre et Président de la Commission Consultative d'Evaluation des Normes (CCEN) m'incite à revenir sur un de mes dadas, une de mes marottes : la multiplication des normes, la sur-administration de notre pays. Je vais essayer d'être concis sur un sujet où je me semble capable d'écrire plusieurs livres...!

 

La sur-administration, c'est quoi ?

 

La sur-administration, c'est un système dans lequel chaque échelon de pouvoir ajoute une couche de règles et de contrôles supplémentaires aux normes qui lui arrivent "du dessus". C'est un univers où, comme le dénonce justement Alain Lambert, le système vit par lui même et pour lui même, au lieu de se préoccuper de l'utilisateur final.

 

Résultat, dans la vie publique comme dans l'entreprise privée, c'est un dédale d'une rare complexité, parfois totalement contradictoire, souvent absurde, toujours déresponsabilisant. Je suis sûr que chacun des lecteurs de ce blog a, dans sa vie quotidienne, comme citoyen ou dans sa vie professionnelle, déjà été confronté à ces situations : inutile d'en rajouter donc.

 

Le coût de la sur-administration

 

Quel est le coût financier de cette affaire ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais sans doute des milliards d'euros puisque chacune de ces normes doit être d'abord édictée par des gens, puis contrôlée. Sans même parler des consultants et spécialistes en tous genres auxquels les plus audacieux font désormais régulièrement appel pour seulement comprendre ces normes.

 

Mais l'essentiel me semble ailleurs : à chaque échelon, c'est l'aveuglement déresponsabilisant. Inutile de chercher à lutter : on ne peut rien contre les "ordres" venus d'en-haut et on ignore ce que fera l'échelon d'en-dessous. C'est idiot ? C'est contre-productif ? Ca tourne le dos à l'esprit même du texte initial (souvent une loi) ? Oui mais "on y peut rien". Et la machine s'emballe...

 

Le "modèle" administratif français ?

 

Ah ! On peut dire que nous en faisons des tonnes sur notre "modèle" administratif français ! Mais le temps où le code civil napoléonien faisait référence dans le monde est bien loin ! Désormais, nous sommes un parfait contre-exemple.

 

Sans même évoquer ce que disent de nous nos interlocuteurs étrangers, Il suffit d'écouter des Français, pourtant habitués à notre système, mais expatriés à l'étranger, pour comprendre : même eux, de retour temporaire ou définitif en France, n'ont qu'un mot à la bouche : "tout est tellement compliqué en France". Qu'ils reviennent d'Amérique du Nord, d'Afrique, d'Asie et même de la plupart des autres pays européens, ces Français nous regardent en se disant : "ils sont devenus fous".

 

Le choc culturel de deux mondes

 

Alain Lambert dénonce, avec raison, le poids des administrations centrales. Mais il ne faut pas, de mon point de vue, ignorer les ajouts des échelons inférieurs. Quoi qu'il en soit, il y a dans cette matière un choc culturel entre deux mondes :

  • d'un côté, les émetteurs de normes, souvent parisiens comme le dénonce Alain Lambert mais pas toujours. Surtout des gens qui ne sont jamais confrontés à titre personnel aux normes qu'ils édictent. Des gens souvent loin du monde de l'entreprise et même des tâches quotidiennes d'un foyer : bref, des gens, parfois très intelligents, mais qui ne sont jamais usagers ni de leurs propres normes ni de celles des autres. Des gens au final très protégés, qui "font faire" plutôt que "faire eux-mêmes" et qui, du coup, sous-estiment toujours l'importance du sujet. Ceux-là en font un thème de rigolade : combien de fois me suis-je heurté à ces sourires condescendants...
  • de l'autre côté, des démagos de tous poils, prêts à hurler avec les loups au côtés des plus fragilisés et des plus exaspérés. Ceux-là  font comme si on pouvait renverser la table et supprimer toutes ces rigidités. Or, ce serait évidemment une folie puisque ces normes ont pour objectif premier de mettre de l'équité, de la sécurité, de l'universalité dans les règles qui nous gouvernent. Sujets de droit exaspérés devant les normes, nous sommes aussi, ne l'oublions pas, demandeurs de toujours plus de protection, de justice, de transparence, etc...

 Entre des élites indifférentes et des exaspérés excessifs, rien de changera jamais.

 

Choc de simplification ?

 

C'est pourquoi, une fois n'est pas coutume, j'ai salué Hollande et Ayrault qui, à raison je le crois, se sont lancés dans ce choc de simplification : c'est une bataille sûrement importante sur le plan financier, mais elle est surtout stratégique sur notre état d'esprit collectif, notre envie de progresser, d'avancer ensemble. Aujourd'hui, c'est le règne de l'incapacité, de l'indifférence et de l'individualisme : il faut passer à l'exigence de résultat collectif. 

 

Ne nous leurrons pas : c'est un combat de longue haleine qui réclame une volonté politique de fer, relayée dans chaque préfecture, dans chaque organisme public, dans chaque direction générale d'entreprise, dans chaque collectivité locale. Nous n'en sommes qu'à un timide début et l'entretien d'Alain Lambert n'est guère rassurant sur son avancée. Mais le sujet est trop essentiel, trop stratégique, pour baisser les bras et laisser les indifférences l'emporter.

 

Voilà pourquoi je crois indispensable que chacun de nous, dans son propre environnement familial, professionnel, syndical, politique, relaye ce combat de simplification. A mon modeste niveau, je m'y emploie et je mesure, tous les jours, la difficulté de la tâche...

 

 

Publié dans on en parle partout

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A
Bonjour Bernard,<br /> <br /> C'est bizarre que tu n'en parles pas, mais j'avais cru comprendre que la majorité de nos normes n'étaient en fait que la transposition de normes édictées par l'Europe. Donc par des gens encore plus<br /> loin de nos problèmes de terrain.<br /> A chaque fois qu'il se produit un accident, on sort une nouvelle norme. C'est facile car qui ira dire :"c'est la fatalité, il y aura toujours des accidents, la sécurité zéro n'existe pas". Et<br /> surtout, celui qui dira cela sera poursuivi et désigné responsable.<br /> Cela n'empêche pas un autre accident de se produire, pour une cause que l'on n'avait pas prévue. C'est pourquoi les normes sortent toujours après un accident et pas avant.<br /> Bien sûr, cela demande beaucoup moins d'imagination puisque c'est arrivé.<br /> J'ai un exemple sous les yeux. La norme de hauteur des garde-corps de balcon est de 1.01 m. Ma femme est actuellement sur notre terrasse en train de recoudre le store, montée sur échelle placée à<br /> proximité du garde-corps. Elle peut chuter de 6 m. Je me demande si je ne vais pas proposer à nos énarques une norme de distance d'une échelle à un garde-corps qui dirait que tout travail sur une<br /> échelle doit se faire à une distance d'un garde-corps égale ou supérieure à la hauteur de l'échelle. Et comme toutes les normes (ou presque), personne ne vérifie l'application, sauf en cas<br /> d'accident car cela permet de trouver un responsable coupable (autre sport national).<br /> En fait, je ne vais pas proposer ma norme, ma femme est redescendue de son échelle, le temps que je finisse mon commentaire.<br /> Ouf...<br /> <br /> Amicalement.
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B
<br /> <br /> Oui André, beaucoup de nos normes viennent de l'Europe, puisque depuis 50 ans, les pays de l'Union s'efforcent de constuire un espace commun. Mais il ne faut pas en conclure pour autant que<br /> l'Europe devrait se mêler de ses affaires : parce que l'Europe, c'est nous ! A titre d'information, je précise que les électins européennes qui auront lieu en juin prochain (et dont personne ne<br /> parle...) seront historiques. En effet, pour la première fois, ce sera le Parlement issu des urnes qui désignera le Président de la Commission qui est un peu le super premier Ministre de<br /> l'Europe. On va enfin pouvoir parler projet européen, y compris en matière de normes. Enfin, à supposer que quelqu'un s'intéresse à l'Europe en France parce que, pour le moment... Cordialement.<br /> BL<br /> <br /> <br /> <br />