Les collectivités locales dépensent-elles trop ?
Je demande aux collectivités locales de mieux maîtriser l’évolution des dépenses de gestion, notamment par la mutualisation des services
On ne sait pas encore si Manuel Valls entrainera le PS dans son virage social-démocrate mais ce qui semble certain, c'est que le premier Ministre est déterminé à briser quelques tabous.
Parmi ceux-là, figurent les dépenses de gestion des collectivités locales et notamment leurs dépenses de personnel. Manuel Valls explique qu'il n'est pas possible que ces dépenses continuent de croître de 3% chaque année alors même que l'inflation et la croissance frisent le niveau zéro.
Je suis convaincu que ce diagnostic est juste. Mais je voudrais illustrer ici la difficulté de ce traitement, à la lumière de mon expérience d'élu local agenais.
Des collectivités de terrain
Parce qu'il a été Maire lui-même, Maunel Valls sait bien qu'il est plus facile de décrêter la baisse des dépenses de personnel territorial depuis Matignon que depuis le fauteuil du Maire : les communes sont les collectivités de la proximité et il y a des réalités qu'il est plus difficile à masquer sur le terrain qu'à Paris. D'ailleurs lui-même a cru devoir s'engager à augmenter le nombre des enseignants, des policiers, etc...
Chaque emploi public local correspond à un service rendu : pour déclarer une naissance ou un décès, inscrire son enfant à la crèche ou l'école, acheter un billet au théâtre, nettoyer les écoles, porter les repas à domicile aux seniors, surveiller le stationnement, construire les équipements publics, instruire les demandes de subvention des associations, etc...
Vu de loin, on peut imaginer des redondances, des doubles emplois, des postes "inutiles". Et sans doute y en-a-t-il quelques-uns. Mais quand on devient usager, tout change et nul ne veut attendre ni son passeport, ni son permis de construire ; chacun trouve anormal de tomber sur un bureau fermé ou une file d'attente trop longue. Bref, on peut être sensible au discours sur le "trop de personnels" et ne voir les fonctionnaires territoriaux qu'au travers du regard que portent sur eux les humoristes. Mais quand on en a besoin, le regard change...
Des pistes de modernisation
Ceci dit, les collectivités locales ont devant elles un vaste champ de modernisation à mettre en oeuvre avec audace.
La productivité peut et doit s'améliorer. Je suis frappé de voir à quel point les mairies se sont souvent équipées des outils de travail parmi les plus modernes, qu'il s'agisse de machines ou d'informatique. Ce mouvement entraine une amélioration de la productivité qui devrait davantage être affectée à la baisse des dépenses de personnel ce qui, reconnaissons-le, n'est que rarement le cas.
L'organisation du travail doit se moderniser. Pour l'essentiel, les collectivités de 2014 sont à peu près organisées comme elles l'étaient il y a 30 ans et les nouveautés s'y sont ajoutées, sans presque jamais rien retrancher à ce qui pré-existait. On rajoute toujours des dépenses nouvelles, on ne réduit jamais les anciennes. Chantier prioritaire : le travail transversal entre les services eux-mêmes d'abord puis entre les différents acteurs publics.
Les collectivités doivent alléger les procédures administratives au lieu d'y rajouter leur propre couche de règlements. Or, les pratiques des collectivités consistent souvent à ajouter leurs propres procédures, formulaires et contraintes. Tout ça coûte cher à mettre en place et à contrôler, sans parler de l'impact pour les usagers.
Il faut mutualiser les moyens publics. A Agen, Ville et Agglomération sont engagées sur cette voie que recommande vivement Manuel Valls, à raison. Je ne crois guère à une baisse immédiate de la dépense mais je suis convaincu qu'à deux ans, les premiers effets bénéfiques se feront sentir. Il faudrait aussi pour cela que l'environnement légal des collectivités ne change pas en permanence...
Des contraintes venues d'ailleurs
Les collectivités et les élus qui les dirigent ont-ils tous les torts ? Ce serait trop facile ! Pour avoir été en charge à la fois du budget et du personnel à la Mairie d'Agen durant 6 ans pendant lesquels la courbe de croissance des dépenses du personnel a été inversée, je mesure particulièrement les difficultés de l'exercice et les contraintes extérieures qui pèsent sur les collectivités.
Un statut hors d'âge. Au risque de faire hurler (inutilement puisque je ne suis plus en charge du personnel...), comment ne pas admettre que, malgré les tentatives mises en place, le statut territorial n'incite guère à la performance et vise avant tout à un égalitarisme d'un autre siècle. Hélas, ce statut s'impose...
Les transfert de charges. Sans même parler des fameux rythmes scolaires, regardez les passeports : auparavant, c'était la Préfecture qui les délivrait. Ce sont désormais les Mairies. A Agen, nous y avons affecté l'équivalent d'un peu plus d'un emploi à temps plein et recevons chaque année de l'Etat 15 090 € de compensation, c'est-à-dire à peu de choses près la moitié de ce que cela nous coûte. Et les 2600 passeports délivrés à Agen rapportent la bagatelle de 223 600 € de timbres fiscaux... à l'Etat !
Vous avez dit inflation zéro ? Je ne sais pas vous mais moi je trouve, dans ma vie quotidienne, que les prix ne stagnent pas autant que ce que nous en disent les statistiques. Dans une mairie, c'est pareil : les taxes, les cotisations sociales en tous genres, l'énergie, les télécommunications, les dépenses du quotidien, tout ça augmente. Vous pouvez rationnaliser la dépense, relancer les appels d'offres, contraindre les plus gros fournisseurs : diminuer la dépense est une tâche ardue.
Les autres financeurs s'échappent. L'Etat annonce qu'il va moins financer la ligne aérienne Agen-Paris. Et alors ? Les collectivités locales doivent-elles se substituer à lui alors que le même Etat leur demande par ailleurs de baisser leurs dépenses ? Idem pour le Conservatoire de Musique que les financeurs autres que la Ville et les parents subventionnent de moins en moins : on fait quoi ? Etc...
Face à la contraction de leurs recettes et leur volonté de stabilité fiscale, les collectivités sont contraintes de construire leurs prochains budgets à la baisse. C'est un profond changement de culture auquel nous allons devoir nous habituer.