A propos des gilets jaunes
Il y a quelque chose de plutôt sympathique dans la manifestation des gilets jaunes annoncée pour ce samedi : si j'ai bien compris, on devrait assister à un mouvement spontané, né sur les réseaux sociaux, rassemblant des citoyens qui expriment leurs aspirations. Au fond, c'est une forme de démocratie directe qui ne peut que susciter le respect si, comme je l'espère, elle se déroule dans une ambiance bon enfant. Ce mouvement dérange, surprend et interroge mais il est à mes yeux, d'abord, la démonstration non seulement de difficultés réelles mais, plus encore, d'inquiétudes pour l'avenir. Le fait qu'y participent des gens qui d'ordinaire ne défilent pas ou peu doit être perçu pour ce qu'il est : l'indice au moins d'une incompréhension et sans doute davantage.
Anti-taxes, mais pas que
Tout ça a débuté avec la hausse des taxes sur le gazole. Les citoyens savent bien que le prix du diesel payé à la pompe dépend pour une bonne part des cours mondiaux mais ils suspectent fortement l'Etat, sous couvert de préoccupations environnementales, d'ajouter des taxes aux taxes. Si chacun comprend qu'il est utile de rendre nos véhicules moins polluants, il faudra du temps pour mettre à niveau les quelques 39 millions de véhicules immatriculés en France : la hausse des taxes n'est sûrement pas assez progressive.
Mais à la colère anti-taxes sur le gazole sont venues s'agréger quantités de revendications diverses et variées, comme en témoigne ce qui s'écrit dans les réseaux sociaux où chacun y va de sa revendication sur les salaires, les emplois publics, la CSG, les retraites, les CDI, etc... Faute d'avoir clairement défini le but qu'il recherche, ce mouvement n'a donc aucune chance de voir ses aspirations satisfaites.
Déficit démocratique
Ce qu'il y a de terrible et d'inquiétant dans ce mouvement des gilets jaunes, c'est le désarroi qu'il exprime. Non seulement les difficultés et l'inquiétude, mais aussi l'absence de confiance mis dans le système représentatif. Au fond, les gilets jaunes expriment leur défiance à l'égard d'un système politique (Etat, gouvernement, partis, syndicats) qui semble les ignorer, mal les représenter ou, pire, les mépriser.
Car pour autant qu'on puisse le comprendre, ce mouvement n'est pas celui de l'extrême pauvreté ; c'est le mouvement de ceux qui travaillent ou essaient de travailler et qui, à ce titre, ne bénéficient pas ou peu des systèmes de solidarités et qui, pourtant, éprouvent des difficultés grandissantes à s'en sortir à peu près dignement. Ce peuple-là a le sentiment d'être moins entendu que d'autres, moins représenté que d'autres et dit sa colère. C'est pourquoi les tentatives de récupération politiques ne prennent pas. A ce titre, ce mouvement doit nous interroger sur notre système représentatif.
Spontané
Ce n'est pas faire injure à ce mouvement ni à ceux qui y participent de bonne foi que de souligner que, spontané, il est aussi peu ou pas organisé. En fonction des sources, les lieux de rassemblement, les horaires, les modes d'action varient, les consignes les plus contradictoires circulent. Tout ce qui permet d'ordinaire d'assurer le bon déroulement -et la sécurité- des manifestations et des manifestants eux-mêmes n'existe pas, d'où l'inquiétude des pouvoirs publics. Le summum de l'absurde est l'appel parisien à "marcher sur l'Elysée". Et quoi plus ?!
De sympathique, l'initiative en deviendrait rapidement suspecte et même hautement contestable. Les colères exprimées par les gilets jaunes ne les autorisent en rien à s'en prendre à l'autorité de l'Etat ni à remettre en cause les résultats des élections, quel qu'ait été leur vote. On le sent bien : il faudrait peu de choses pour que ce mouvement a priori plutôt sympathique dégénère, ce qui aboutirait à l'exact contraire du but recherché.
Parole présidentielle
Emmanuel Macron va parler ce soir à la télé. Il sera sûrement question notamment des gilets jaunes. Je m'interroge sur le calendrier et sur les modalités de cette prise de parole présidentielle. Parler avant la manifestation du 17 novembre ? Pour tenter de répondre par avance et, ainsi, d'en atténuer l'importance et les effets ? Le pari me semble risqué.
J'ajoute que le lieu choisi -le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle désormais réparé- se prête plus à une intervention sur les enjeux internationaux et de sécurité qu'à afficher une proximité et une compréhension des aspirations des gilets jaunes. Mais j'imagine que le Président sait ce qu'il fait...