Le bourbier ivoirien

Publié le par Bernard LUSSET

Pendant que le monde a les yeux rivés sur la Maison Blanche, la Côte d'Ivoire a organisé samedi dernier son élection présidentielle. Sans surprise, la Commission Electorale Indépendante (CEI) de Côte d'Ivoire a proclamé la victoire du président sortant avec un score digne d'une république bananière (94 % !) que le Conseil constitutionnel avalisera sans doute.

Cela suffit-il à considérer que ce scrutin s'est déroulé conformément aux règles de bonne gouvernance ? Pas vraiment : les différentes missions internationales d'observation présentes lors du scrutin livrent des conclusions pour le moins contrastées, les situations ayant été très différentes d'un territoire à un autre. Dans certaines villes, des exactions sanglantes terribles ont eu lieu quand, dans d'autres, la paix civile a été relativement maintenue. Mais, au final, plus d'une trentaine de personnes ont perdu la vie du fait des violences pré-électorales.

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Ce qui est également avéré, c'est le nombre de bureaux de vote qui n'ont pu ouvrir normalement : 4 780 sur les 22 381 recensés, soit un sur cinq, ce qui n'est pas rien. Du coup, les chiffres de la participation annoncés par la CEI ne tenant compte que des bureaux réellement ouverts, cela lui a permis de faire artificiellement grimper la participation de 42,9 % à 53 % : il n'y a pas de petit profit politique puisque l'opposition avait lancé un appel à la non-participation au vote.

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L'utilisation intensive de tous les moyens de l'Etat durant la pré-campagne et les talents propres du Président sortant Alassane Ouattara ont fait la démonstration de leur efficacité électorale, à l'issue d'un mandat marqué par une certaine réussite économique du pays ces dernières années. Il n'est donc pas étonnant que là où le RHDP (le parti du Président) était solidement implanté, il ait pu maintenir les opérations de vote et y ait obtenu des scores fleuves. Rappelons au passage que les votants trempaient leur doigt dans l'encre comme preuve de leur vote : il y a des villes où il valait mieux arborer un doigt encré et, à l'inverse, des endroits où il était préférable de pouvoir prouver qu'on n'avait pas voté...

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Mais tout cela ne suffit pas à expliquer le résultat : l'opposition a trop longtemps pensé que la simple coalition des deux partis PDCI et FPI suffirait à ne faire qu'une bouchée électorale au second tour du dauphin qui avait été désigné par le Président sortant. Or, le dauphin étant décédé, Ouattara est revenu sur ses engagements et a tenté -et réussi- un troisième mandat, visant le "coup KO" c'est-à-dire la victoire dès le premier tour.

Face à cette candidature qu'elle jugeait inconstitutionnelle mais qui a été avalisée par le Conseil constitutionnel ivoirien, l'opposition en a été réduite à appeler à la désobéissance civile et à la non participation au scrutin. Les scores d'Henri Konan Bédié (PDCI, 1,66 %) et Pascal Affi N'Guessan (FPI, 0,99 %) ne reflètent donc évidemment ni la réalité politique du pays ni le poids électoral de chacune des formations. De la même manière d'ailleurs que le score fleuve obtenu par Ouattara masque une réalité ivoirienne bien moins unanime. Mais l'élection a officiellement eu lieu...

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En réaction à ce qu'elle qualifie de coup d'Etat constitutionnel, l'opposition a annoncé la constitution prochaine d'un "gouvernement de transition", ce qui ne pouvait que susciter l'hostilité en retour du gouvernement qui l'assimile à une tentative d'insurrection. C'est ainsi que les principaux dirigeants de l'opposition ont vu débouler hier soir autour de leurs résidences respectives les forces armées gouvernementales qui ont procédé à plusieurs arrestations. Une provocation en amenant une autre, la Côte d'Ivoire redoute désormais une escalade de la violence qui prolongerait le climat brutal et anxiogène de la campagne électorale. La poursuite sur cette voie pourrait renvoyer le pays à la terreur des années 2010.

Or, pas un Ivoirien de la rue ne souhaite ce retour en arrière et émergent dans quelques quartiers et villages des initiatives citoyennes de prévention des conflits intercommunautaires venus se greffer sur tout ça. Comme si les Ivoiriens n'en pouvaient plus d'une classe politique centrée sur elle-même, incapable d'assurer des transitions démocratiques normales et de mobiliser ses forces pour assurer un développement réellement inclusif.

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Il y a 10 ans, il avait fallu des interventions internationales et notamment française pour faire sortir le pays de l'instabilité et du chaos. A l'époque, c'est Ouattara qui en avait bénéficié. Nul n'imagine aujourd'hui la France se mêler à nouveau de la vie électorale de la Côte d'Ivoire ; tout au plus veillera-t-elle à la préservation de ses intérêts sur place, à commencer par sa Base Opérationnelle Avancée des Forces Françaises en Côte d'Ivoire (FFCI) forte de 950 hommes.

Quant aux organisations multilatérales africaines, elles n'ont guère de moyens légaux pour peser sur la vie institutionnelle de ses membres et n'en manifestent nulle envie : elles se contentent donc de rappeler les principes de bonne gouvernance au travers de messages aussi alambiqués qu'inutiles.

Au fond, la Côte d'Ivoire va devoir trouver par elle-même le chemin du dialogue, de la paix civile et de la transition démocratique. Elle n'en prend pas le chemin.

Publié dans on en parle en Afrique

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