La leçon afghane

Publié le par Bernard LUSSET

Kaboul

Difficile de ne pas être bouleversé par ce qui se passe en Afghanistan : la vue de ces centaines de milliers d'hommes, femmes et enfants qui tentent de quitter leur pays, leur maison, leur famille, à tout prix, a quelque chose d'insoutenable.

Ce drame signe d'abord l'échec des dirigeants afghans.

Mais il illustre aussi l'incapacité de la communauté internationale à restaurer un Etat digne de ce nom, malgré les milliards de dollars et les milliers d'hommes en arme engagés. Ainsi Kaboul, tombée en quelques heures sans qu'une seule cartouche ne semble avoir été tirée. Vingt ans après l'horreur du World Trade Center qui justifia l'intervention occidentale, le retour à la réalité est douloureux à Kaboul.

Les images de désespoir à l'aéroport de Kaboul sont une honte pour l'Occident politique

Frank-Walter Steinmeier, Président fédéral d'Allemagne

Comment ne pas voir dans le désastre afghan les limites d'une intervention extérieure principalement militaire qui passerait sous silence les attentes insatisfaites des peuples et la nécessité de préparer la reconstruction nationale ? Après la Libye et quelques autres exemples aussi malheureux, l'Afghanistan nous montre que seules l'adhésion des peuples et une gouvernance inclusive peuvent permettre de lutter efficacement et durablement contre la montée des fondamentalismes.

La leçon afghane sera-t-elle entendue ailleurs et notamment au Sahel, miné par les tentations radicales ? Voire : comme le dit Gilles Kepel (1), "le problème qui se pose (au Sahel) comme en Afghanistan, est que les élites locales soutenues par les occidentaux, au lieu de se reconstruire une popularité dans leur pays, dans bien des cas ont surtout essayé de bénéficier pour elles-mêmes de prébendes. Et du coup se sont tiré une balle dans le pied".

Ou, pour le dire autrement, avec les mots de Moussa Tchangari (2) : "Au Sahel, il est urgent que des hommes et des femmes de bonne volonté se lèvent et proclament que la guerre en cours ne peut pas être gagnée avec les mêmes armées étrangères qui ne l'ont pas gagnée en Afghanistan ; mais aussi, avec le même type de dirigeants corrompus, qui n'ont aucune once de patriotisme, et le même type de forces de défense et de sécurité, qui commettent parfois des graves exactions et sont plombées par l'affairisme de leurs chefs. Cette guerre, si elle doit être gagnée, ne le sera qu'à travers une volonté large et des initiatives audacieuses visant à construire un nouveau contrat politique et social restituant au peuple sa souveraineté et créant les conditions d'une vie digne pour les millions de personnes qui en sont aujourd'hui privées."

Le chaos afghan ne constitue pas seulement une honte pour l'occident, comme l'a souligné le Président allemand. C'est une leçon à retenir pour ne pas répéter ailleurs les mêmes erreurs, notamment au Sahel.

 

(1) Gilles Kepel est chercheur au CNRS, spécialiste de l'islam et du monde arabe contemporain
(2) Moussa Tchangari est Secrétaire général de l’association nigérienne « Alternative Espaces Citoyens »

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